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PHYSICIENNE / PROFESSEURE D’UNIVERSITÉ EN GÉNIE CIVIL

AVEC MÉLANIE TRUDEL

Décembre 2019 | Musique et montage par Alex Andraos

Mélanie Trudel est physicienne et professeure de génie civil à l’Université de Sherbrooke. Dans l’épisode, elle nous parle des divers volets de son quotidien professionnel. De comment enseigner à une nouvelle génération d’étudiants à sa recherche sur les zones inondables, en passant par sa collaboration avec la NASA; elle nous dépeint un portrait parfois méconnu de la réalité des professeurs d’université.

PHYSICIENNE / PROFESSEURE D’UNIVERSITÉ EN GÉNIE CIVIL

AVEC MÉLANIE TRUDEL

Aimy :

Bonjour et bienvenue aux Portraits professionnels, le balado où l’on tente de clarifier différentes professions du marché du travail. Mélanie Trudel est physicienne et professeure de génie civil à l’Université de Sherbrooke. Dans l’épisode, elle nous parle des divers volets de son quotidien professionnel, de comment enseigner à une nouvelle génération d’étudiants à sa recherche sur les zones inondables, en passant par sa collaboration avec la NASA. Elle nous dépeint un portrait parfois méconnu de la réalité des professeurs d’université. Mélanie Trudel, bonjour.

Mélanie :

Bonjour.

Aimy :

Tu vas bien?

Mélanie :

Très bien.

Aimy :

Alors, on se rencontre aujourd’hui pour parler de ce que tu fais. Veux-tu nous expliquer ce que tu fais?

Mélanie :

En fait, je suis professeure, donc je suis physicienne et puis je suis dans la Faculté de génie à l’Université de Sherbrooke, en génie civil.

Aimy :

OK. Alors, quand tu rencontres quelqu’un pour la première fois, dans un party et que tu dis : Oui, bonjour, je suis Mélanie, je suis physicienne, professeure en génie civil, génie du bâtiment, les gens, qu’est-ce qu’ils imaginent que tu fais de tes journées?

Mélanie :

Heu, je pense que beaucoup de gens croient que j’enseigne, ce qui est une portion de ce qu’on fait en tant que professeur d’université. Il y a toujours, aussi, un petit : Oh! Les gens perçoivent les professeurs d’université comme des experts dans un domaine, des gens qui ont fait des longues études, également. Ce qui est quand même le cas. Je pense que c’est surtout ça, là, l’expertise et l’enseignement.

Aimy :

Fait qu’il pourrait y avoir comme une vision, un peu, restrictive de ce que tu fais. C’est ça que tu me dis? Comme plus courte que ce que tu fais réellement?

Mélanie :

Oui. Je pense qu’il y a peu de gens qui sont pas dans le milieu, qui vont…

Aimy :

… capter l’ampleur.

Mélanie :

Exactement.

Aimy :

OK. Fait que, si tu me décrivais c’est quoi les différents volets de ce que tu fais? On s’est dit, l’enseignement, c’est une partie. Oui, tu es une experte, effectivement.Mais, c’est quoi que tu fais, sinon?

Mélanie :

En fait, on va prendre chacune des parties. Bon, l’enseignement… L’enseignement, à l’université, c’est peut-être un cours par session et puis, peut-être deux, à l’occasion. Il y a trois sessions. De plus en plus, il y a des sessions d’été, également. Donc, c’est pas vrai qu’on est en vacances l’été. Pas du tout, en fait. Et donc, enseigner un cours d’université, un seul par session, c’est extrêmement demandant en temps. Les classes sont quand même, parfois, aussi, assez grosses. Actuellement, j’enseigne à une classe de 100 personnes, 100 étudiants. Le niveau de difficulté est assez élevé, donc l’enseignement va avec. Donc, l’enseignement, c’est peut-être deux, trois, charges de cours durant l’année.

Aimy :

Si on prend, mettons, une semaine de travail, la portion enseignement, elle prendrait quoi, en termes de pourcentage de ton temps?

Mélanie :

Heu, sur l’année, par exemple, ça va dépendre des professeurs, mais il y a des professeurs qui vont peut-être enseigner jusqu’à 60 pourcent de leur temps, mais il y a des professeurs qui vont enseigner 20 pourcent de leur temps. Donc, on peut moduler chacune de nos tâches, un peu comme on veut.

Aimy :

Dépendamment de tes préférences?

Mélanie :

Dépendamment de tes préférences, ça va souvent avec les aptitudes aussi.

Aimy :

Ok. Puis, mettons, dans ton cas à toi? Ça représente à peu près?

Mélanie :

Je dirais autour de 40 pourcent, de ce que, de l’enseignement.

Aimy :

OK, parfait. Dans ce temps-là, dans ce 40 pourcent-là, on a bien sûr le temps que tu passes physiquement en classe à enseigner. C’est quoi les autres morceaux de ce 40 pourcent-là?

Mélanie :

Toute la préparation de cours, on est dans des cours qui sont très avancés, donc, des fois, il y a des mises à jour qui doivent être faites, particulièrement pour les cours de maîtrise où il faut rester à jour par rapport à ce qui se fait, donc, des cours gradués. Il y a aussi toute la correction, il y a répondre aux questions des étudiants qui vont venir au bureau. Pour ce qui est de la correction, on a aussi de l’aide par des auxiliaires, étant donné que c’est des grosses charges.

Aimy :

Ça serait gros, sinon. OK. Fait que ça, c’est pour le volet, vraiment, enseignement. Sinon, c’est quoi les autres?

Mélanie :

Ce qui définit vraiment un professeur d’université, c’est la recherche. C’est ce qui amène à devenir professeur d’université, étant donné qu’on doit avoir un doctorat pour être professeur à l’université, donc, avoir fait de la recherche. C’est ce qui motive les gens à devenir professeur, également. C’est vraiment le côté recherche, trouver des solutions à des problèmes où personne a trouvé de solution jusqu’à maintenant, surtout dans le domaine des sciences et génie. Particulièrement, en génie, on est très solution à une problématique, souvent en partenariat avec l’industrie ou avec les ministères, avec le gouvernement. Donc, il y a des problématiques, il faut trouver une solution. Donc, c’est là-dessus qu’on va travailler. Pour faire ça, il y a un défi, également, qu’on ne retrouvera pas chez les chercheurs au gouvernement ou au privé. C’est qu’on va faire la recherche en formant les chercheurs. Donc, on va avoir des étudiants, à la maîtrise, au doctorat, qui vont faire la recherche et que nous, on va encadrer. Donc, on va les amener à découvrir le monde de la recherche et on va les amener à trouver des solutions. Nous aussi on va faire de la recherche, en tant que professeurs, mais on va surtout être là pour former des étudiants à éventuellement faire de la recherche.

Aimy :

C’est comme si cette recherche=là avait deux missions en même temps. Donc, le côté résolution de problème, innovation, mais en même temps, former la relève.

Mélanie :

Exactement.

Aimy :

OK. Si, mettons, je viens te poser une question un peu plus précise, quand on dit : Je suis physicienne, je sais que pour certaines personnes, OK, c’est Einstein, qu’est-ce qu’il a fait, c’est comme un peu flou. Si tu me donnais un exemple de projets sur lesquels tu pourrais travailler?

Mélanie :

En fait, actuellement, je travaille sur la cartographie des zones inondables. Donc, j’utilise les données des satellites pour améliorer la prévision des inondations, puis améliorer la cartographie, donc, la délimitation d’une zone qui est inondable.C’est un enjeu pour les municipalités, pour le gouvernement, puis on veut le faire en intégrant des observations qui ont jamais été utilisées, qui proviennent de satellites, de drones, également. Donc, on va traiter les données, on va les intégrer, on va faire de la modélisation. Ça demande de la programmation, ça demande de la modélisation sur un ordinateur, donc de prendre des équations et de les transformer, de les inclure dans un algorithme, dans un code, pour que ces équations-là nous donnent un résultat. Donc, c’est beaucoup de travail à l’ordinateur. C’est aussi beaucoup de travail sur le terrain. Mes projets de recherche impliquent d’aller prendre des mesures dans la rivière, avec des instruments de mesure pour valider les observations qui sont faites avec les satellites. Donc, c’est vraiment plusieurs volets. On peut se retrouver dans un laboratoire, on peut se retrouver dans la rivière, on peut se retrouver devant un ordinateur.

Aimy :

Fait que, si j’essaie de te vulgariser, pour quelqu’un qui n’aurait jamais touché à tout ça, tu pourrais être amenée, je dis n’importe quoi là, mais, un lundi, à aller mettre tes bottes de pluie puis à aller proche de la rivière, puis là, mesurer des trucs. Ensuite, peut-être que le mercredi, tu es assise à ton ordi puis tu regardes qu’est-ce que le satellite a calculé, puis là tu valides, bon, est-ce que les chiffres sont pareils partout, oui, on a mesuré la bonne affaire. Donc, de là, algorithme, calcul, je finis par prédire, faire des prévisions de qu’est-ce qui pourrait arriver dans telle ou telle situation? Mélanie :

Exactement, un peu. Ça va complètement varier d’une journée à l’autre, ce que je vais faire.

Aimy :

Tout ça, j’imagine que ça va se faire en parten…, je veux dire, tu n’es pas propriétaire d’un satellite, là? (rire)

Mélanie :

(rire) Malheureusement.

Aimy :

Donc, ça doit se faire en partenariat avec d’autres entités?

Mélanie :

Oui, la recherche se fait beaucoup avec des partenaires à l’international, aussi. Donc, on a des collaborations. Moi, particulièrement, en France, puis aux États-Unis. La majorité des chercheurs vont voyager quand même beaucoup, en termes de collaboration. On envoie aussi nos étudiants pour faire des collaborations et il y a des chercheurs qui viennent nous visiter, vraiment, d’un peu partout dans le monde. Je travaille, oui, avec des gens de la NASA, avec des gens du Centre national d’études spatiales françaises. Donc, on va, ensemble, essayer de trouver des solutions aux différents problèmes.

Aimy :

On peut avoir la vision, des fois, dans un métier, dans une profession aussi scientifique, que je pourrais être seule à mon ordinateur, mais dans le fond, c’est hyper humain. Tu es en contact avec des gens tout le temps, tu collabore avec ce monde-là, il y a… Cette fibre, l’entregent, doit être importante?

Mélanie :

En fait, professeur d’université, aussi, il faut être capable de s’adapter à nos étudiants. C’est ce qui va faire la force d’un professeur, dans le fond. On va interagir avec beaucoup d’étudiants, beaucoup d’étudiants étrangers, également, qui ont des vécus plus différents les uns des autres. Il faut s’adapter à comment, culturellement, aussi, la hiérarchie, et cetera, est perçue. Donc, ça fait partie de notre rôle d’être à l’écoute de nos étudiants parce qu’on va les former pour qu’ils se retrouvent sur le marché du travail par la suite et si on veut que l’expérience de faire une maîtrise ou un doctorat soit positive pour eux, bien, nous, ça demande d’être à l’écoute, de s’adapter en fonction des situations. J’ai des étudiants qui ont une famille, j’ai des étudiants qui sont célibataires puis qui sont workaholics, puis il faut gérer cette équipe-là. Un professeur d’université, c’est un peu comme un chef d’une micro-entreprise, on va avoir, avec une portion enseignement, formation constamment. Mais, on a des étudiants qu’on doit faire évoluer, puis qu’on doit être à l’écoute. Je travaille avec des techniciens, je travaille avec des professionnels de recherche, également. On a toute une équipe qui gravite, puis nos collègues professeurs, aussi, on va collaborer.

Aimy :

Fait qu’on a vraiment un volet gestion.

Mélanie :

Il y a un gros volet gestion, puis ça, c’est ce qui est peut-être pas perçu. Dès le départ, les gens vont dire je veux devenir professeur d’université, je veux faire de la recherche.

Aimy :

Hum-hum, on pourrait se dire : J’aime la science, je fais ça.

Mélanie :

Oui, mais il faut aimer, aussi, écrire des demandes de subvention, aller chercher du financement, gérer le financement. C’est… plus t’en as, plus t’en as à gérer. Donc, tout ça, c’est caché derrière. Puis, s’ajoutent à ça ce qu’on appelle, nous, les services à la vie universitaire et à la collectivité. Donc, on va participer à des comités de révision de programmes, à l’université. On va participer à l’embauche de nouveaux professeurs, donc, les entrevues, et cetera, tout ce qui est collectivité, des entrevues avec les médias. Lorsqu’on écoute la radio puis qu’il y a un expert, c’est souvent un professeur d’université. Donc, ça fait partie du mandat de professeur. Euh… révision articles, révision de thèses, les étudiants qui écrivent un mémoire, une thèse, il y a des gens qui doivent réviser ces documents-là, qui sont habituellement des professeurs d’autres universités pour assurer l’indépendance. Inversement, en tant que professeur, on va aussi réviser des thèses pour d’autres universités, des articles scientifiques, également, dans des revues. Parfois, on va être éditeurs pour des revues, également. Donc, tout ce qui est services à la collectivité et à la vie universitaire peut parfois prendre beaucoup d’espace. La gestion des courriels, de plus en plus, également, est un enjeu, dans le travail d’un professeur.

Aimy :

De ce que j’entends, je vois qu’il y a vraiment une nécessité d’être capable de mener plusieurs dossiers de front, en même temps.

Mélanie :

Oui. Ça, c’est nécessaire.

Aimy :

Dans ma journée, je vais jongler entre de la recherche, de l’enseignement, de la correction, gérer les partenariats, faire des demandes de subvention, aller sur le terrain, programmer. Fait que, tout ça, tout ça, tout ça pourrait… puis, gestion des courriels (rire), tout ça, ça pourrait se combiner à l’intérieur d’une même journée?

Mélanie :

Ça pourrait. Idéalement, on va travailler en blocs. Donc, on va travailler pendant une semaine sur la rédaction d’une demande de subvention. Puis, souvent, on va avoir des subventions pour une période, ça varie de deux à cinq ans. Donc, des fois on est correct pendant quasiment un an sans devoir écrire de demande de subvention. On va avoir des rushs. Veut, veut pas, on va avoir parfois des étudiants, plusieurs étudiants qui terminent en même temps, donc là, il faut réviser les thèses.

Aimy :

Fait qu’il y a comme une…

Mélanie :

Mais, c’est que c’est vraiment comme des grosses vagues.

Aimy :

ll y a quelque chose d’un peu cyclique, là.

Mélanie :

Cyclique, mais… ça revient jamais (rire). C’est un cycle différent à chaque fois (rire).

Aimy :

(rire) Il y a quand même une notion de logistique puis d’organisation, je ne m’en sortirais pas si je suis complètement pêle-mêle?

Mélanie :

C’est ça.

Aimy :

OK. Je pense qu’on a couvert quand même les différents mandats, hein?

Mélanie :

Oui.

Aimy :

Si je reviens à toi personnellement, qu’est-ce qui t’a amenée vers cette voie-là?

Mélanie :

C’est vraiment pas orthodoxe, j’avais six ans la première fois que j’ai dit : Je veux devenir physicienne. Et, je suis devenue physicienne. Je ne crois pas que c’est le parcours standard. Peut-être que je ne me suis pas posée de questions sur mon orientation de carrière et j’ai continué sur la même voie. Le milieu universitaire, c’est un milieu qui me plaisait parce que les études, ça m’a toujours intéressée, donc j’ai poursuivi. Puis, lorsque je suis arrivée en physique, j’ai fait mon baccalauréat, puis ça allait de soi. Après, on peut pas, parce qu’un bac en physique, ça ne mène pas nécessairement à un emploi, donc on fait une maîtrise et puis, tranquillement pas vite, on fait un doctorat. La vie m’a amenée, d’abord, je faisais de l’astro, je regardais le ciel vu de la Terre.

Aimy :

De l’astro? De l’astrophysique?

Mélanie :

De l’astrophysique. Donc, je regardais le ciel avec des télescopes, vu de la Terre. Puis, j’ai fini par switcher, regarder la Terre vue du ciel avec des satellites. Je pense, par intérêt par rapport à l’étude de la planète, savoir qu’est-ce qui se passait sur la planète, mais grosso modo, ça restait la même chose, c’est-à-dire analyser un signal d’un satellite ou d’un télescope, c’est analyser un signal. Pour un physicien ou une physicienne, ça se ressemble, et l’intégrer dans des modèles mathématiques. Donc, j’ai poursuivi, puis je me suis ramassée dans un département de génie, dans une faculté de génie et pour poursuivre en génie, il fallait que j’aille chercher mon Ordre des ingénieurs. Donc, j’ai fait des examens en même temps que mon doctorat, pour aller chercher l’Ordre, pour ensuite continuer en génie. Mais, je pense que, physicien ou chercheur, peu importe dans quoi on cherche, on va aimer ça. À un moment donné, on trouve une boîte, on trouve notre niche et on va suivre cette voie-là.

Aimy :

Qu’est-ce qui t’a amenée vers cette niche-là, tu penses?

Mélanie :

Hum… Les gens avec qui j’ai travaillé. Souvent, c’est un contact, un profeseur, une opportunité.

Aimy :

Un peu, de fil en aiguille.

Mélanie :

Oui. Il n’y avait pas de ligne tracée, je vais faire de l’hydrologie avec des satellites. Je pense qu’on avance tranquillement. Au fur et à mesure qu’on avance, en recherche, aussi, on découvre qu’est-ce qui nous plaît, qu’est-ce qui nous intéresse. Ok, j’étudiais la neige. À un moment donné, ok, je ferais peut-être mieux d’étudier l’humidité du sol, les niveaux d’eau, etc. Donc, on gravite à travers tout ça, puis à un moment donné, on se trouve une niche. Ce qui est bien en tant que professeur d’université, c’est qu’on est libres de nos recherches. Donc, si dans deux ans, je veux étudier autre chose en hydrologie que les zones inondables et les niveaux d’eau, je peux le faire. Il n’y a personne qui va me dicter quoi faire.

Aimy :

Il y a cette flexibilité-là. Si tu as un sujet qui est intéressant et qui est jugé pertinent, tu pourrais aller par là.

Mélanie :

Oui, mais c’est moi qui juge si c’est pertinent ou non. Il y a une très grande liberté lorsqu’on est professeur d’université.

Aimy :

Est-ce que la liberté va jusqu’aux subventions? Si moi je voulais étudier un truc obscur que moi je trouve fascinant, mais que les autres considèrent que non, est-ce que je pourrais être limitée au niveau monétaire?

Mélanie :

Heu… oui. Il faut bien le justifier. Mais, il y aurait toujours l’occasion de faire la recherche par toi-même sans subvention, mais ça serait plus difficile. Donc, il faut le justifier, mais si on le justifie, on peut faire la recherche.

Aimy :

Quand on revient encore aux attributs d’un chercheur, il y a la portion gestion, organisation, recherche, bla, bla. Mais, il y a un morceau, aussi, un peu… c’est pas le bon mot, peut-être, vendeur, un peu? Je vais te convaincre que c’est pertinent ce que je veux faire, pour que tu embarques dans ma gang et qu’on puisse y travailler?

Mélanie :

Heu, oui, mais je pense que ça demande d’abord et avant tout de la créativité. Puis là, si tu es créatif, tu vas arriver à venir bien présenter l’aspect novateur. Le plus important, dans les demandes de subvention, ça va être de bien présenter qu’est-ce qui est novateur, qu’est-ce qui est nouveau dans ton projet de recherche. Si tu as de la créativité, ça va t’aider.

Aimy :

C’est de la créativité quant à la résolution de problèmes dont tu me parlais tout à l’heure.

Mélanie :

Oui, exactement.

Aimy :

OK. Qu’est-ce que tu dirais qui est le plus grand défi que tu rencontres au quotidien dans ton travail?

Mélanie :

La gestion des courriels.

Aimy :

Gestion des courriels (rire). Je vais vous expliquer pourquoi je ris. Avant l’entrevue, Mélanie m’a proposé de lire un court essai de… Fay Hicks

Mélanie :

Fay Hicks.

Aimy :

Qui parle de la réalité d’un professeur. Il y a un chapitre au complet qui parle de la gestion de ses courriels et j’en suis venue à en discuter avec Mélanie qui m’a décrit exactement la même situation que dans le livre, mais dans sa vraie vie. Fait que je vais mettre un lien quant à ce livre-là. Je pense qu’il y a peut-être quelqu’un, tu me corriges si je me trompe, mais quelqu’un qui est intéressé par le domaine gagnerait à jeter un petit coup d’œil à ce livre-là, hein?

Mélanie :

Oui, en particulier une femme en génie, Hicks étant l’une des premières professeures femmes en génie civil à l’Université de Calgary. Donc, c’est…

Aimy :

… Pertinent.

Mélanie :

Pertinent.

Aimy :

Hum… Donc, plus grand défi, gestion des courriels. Défi, de par la quantité de courriels?

Mélanie :

Oui, mais, ça c’est vraiment au jour le jour. Je pense que je plus grand défi, pour un professeur, ça reste vraiment l’innovation et de toujours se renouveler. On parle autant dans l’enseignement que dans la recherche, il y a un besoin pour, justement, aller chercher nos subventions puis être à l’écoute, aussi, des étudiants. On voit, avec le temps, que les étudiants n’apprennent pas toujours nécessairement de la même manière. Donc, c’est important, autant dans l’enseignement que dans la recherche, d’être capable de se renouveler.

Aimy :

On ne voudrait pas tomber dans les vieilles pantoufles, dans un confort, trop vite, parce que tout évolue tout le temps.

Mélanie :

Et voilà.

Aimy :

OK. À l’opposé, qu’est-ce qui est, à ton avis, ce qui est le plus valorisant, dans ton travail?

Mélanie :

Ce qui est le plus valorisant, c’est vraiment d’arriver avec des résultats nouveaux, convaincants. Quand on fait de la recherche et puis, ça prend toujours un peu de temps aux étudiants à saisir ça, c’est que le par défaut, c’est que ça marche pas. Donc, là, les premières fois, ils sont un peu déçus, mais ça marche pas. On essaie quelque chose d’autre, mais ça marche pas. Puis à un moment donné, ça marche et le high que ça va donner quand ça marche, c’est pour ça qu’on devient chercheur. Et comme cette effervescence, c’est vraiment une espèce de high qui, oh wow!

Aimy :

C’est super intéressant ce que tu dis parce que c’est comme, j’aurais pas ce high-là tant que je n’ai pas réalisé que, par défaut, ça ne marche pas.

Mélanie :

Et voilà. Lorsque les étudiants, on a réussi à leur faire réaliser que c’est pas grave que ça marche pas, on continue.

Aimy :

C’est supposé être comme ça.

Mélanie :

On continue, on persévère et à un moment donné, ça marche. Le high est tellement incroyable et c’est pour ça qu’on fait de la recherche. Il y a aussi l’enseignement. Il faut aussi aimer partager tes connaissances, quand tu es professeur d’université. Si c’est quelque chose qui ne nous intéresse pas, mais qu’on aime le high de la recherche, on va aller chercheur soit au gouvernement, soit en entreprise. Donc, il y a quand même beaucoup d’autres possibilités de faire de la recherche que d’être professeur d’université. Professeur d’université, il faut aimer ce high de découverte et il faut aimer partager les connaissances. Il faut aimer transmettre notre savoir.

Aimy :

Je reviens un peu en arrière, tout à l’heure où on parlait de Fay Hicks, clairement, tu es une femme. Si je fais un parallèle, bon, tu es une femme en sciences, tu es une femme en génie, c’est sûr qu’on en est pas à la même époque que Fay Hicks, qui était la première à être une femme dans son domaine, aujourd’hui, comment tu décrirais ça, la réalité des femmes chercheures?

Mélanie :

Ça évolue, ça s’améliore, mais c’est… Il y a des gros efforts qui sont faits par les organismes subventionnaires pour amener un changement. Mais, il y a encore beaucoup de travail à faire. C’est pas un combat qui est terminé. C’est vraiment, puis, ça va au-delà des femmes en génie. Ça va aussi, tout ce qui est équité, diversité, inclusion. Puis, j’aimerais, des fois, aussi amener la réflexion puis on parle souvent, il n’y a pas beaucoup de femmes en génie. Mais, on pourrait voir la situation d’un autre angle et se dire, il y a beaucoup d’hommes en génie et il y a pas beaucoup d’hommes à l’université en dehors que génie. Est-ce qu’on pourrait mettre des efforts pour que les hommes aillent ailleurs qu’en génie, pas juste pour que des femmes viennent en génie.

Aimy :

Fait que c’est comme si tu avais une vision un peu systémique de la chose, hein? Oui, il y a plus de un et il y a moins de l’autre et à l’opposé, il y a plus de un et moins de l’autre, aussi.

Mélanie :

Voilà. Donc, on pourrait amener les hommes en éducation, plutôt que de toujours essayer que des femmes aillent en génie.

Aimy :

C’est comme si tu réfléchissais un peu de manière tentaculaire. Si c’était comme partout ailleurs, peut-être qu’on serait plus balancés.

Mélanie :

Voilà.

Aimy :

Au quotidien, on est quand même en 2019, j’en suis consciente, au quotidien, est-ce que tu le sens que tu es une femme puis qu’il y en a moins autour de toi dans ton domaine?

Mélanie :

Personnellement, je ne le sens pas. Mais, étant donné qu’il y a énormément de, de… de travail qui est fait par les organismes subventionnaires pour amener qu’il y ait plus de femmes en génie, là où je finis par le sentir, c’est que je vais être choisie comme exemple. On va être identifiées.

Aimy :

Tu deviens le porte-étendard.

Mélanie :

Et voilà. Dans certaines situations on sent qu’il y a quand même des petits boys club, je pense qu’il y en aura dans tous les domaines.

Aimy :

C’est normal.

Mélanie :

C’est toujours comme ça. Mais, dans l’ensemble, moi j’ai pas senti de…

Aimy :

Fait que c’est pas un frein, pour toi.

Mélanie :

Pour moi, ça n’a pas été un frein. Mais, il faut toujours, toujours être excellente. Donc, pour percer, tu peux pas être dans la moyenne.

Aimy :

Est-ce qu’on doit être plus excellente quand on est une femme?

Mélanie :

Il faut démontrer l’excellence avec plus de… Il faut la démontrer plus.

Aimy :

Fait qu’elle est là, la différence, selon toi?

Mélanie :

Je pense que oui.

Aimy :

Je sais que je te pose, je sais que c’est touchy ce que je te demande.

Mélanie :

Oui.

Aimy :

Et ce que j’entends, c’est que c’est ton opinion personnelle. Tu ne parles pas au nom de la féminité au complet.

Mélanie :

Non, non, non, non, pas du tout. Puis, je parle de ma situation personnelle parce qu’il y a beaucoup de femmes que j’ai croisées qui ont eu énormément d’embûches. C’est un domaine qui est extrêmement difficile à percer, devenir professeur d’université.

Aimy :

C’est compétitif.

Mélanie :

C’est extrêmement compétitif et c’est aussi un milieu, il y a peu de milieux, on en a déjà discuté, où l’embauche d’un nouveau professeur est choisie par les professeurs existants. Donc, changer les mentalités peut prendre plus de temps. On le voit avec les jeunes professeurs, la façon d’être et même les étudiants, il y a ces questionnements, même, mais voyons, pourquoi tant d’efforts pour amener les femmes en génie. Mais, si tu regardes peut-être un peu plus haut, des fois, il y a une mentalité à faire évoluer.

Aimy :

C’est des choses qui prennent du temps.

Mélanie :

Oui, c’est des choses qui prennent du temps. On est dans la bonne direction. Il y a des efforts qui sont faits.

Aimy :

On y travaille.

Mélanie :

Voilà.

Aimy :

Parfait. La technologie avance, la science évolue, si je te demandais, à ton avis, comment est-ce que ton métier ou ton domaine vont évoluer dans les 10, 15, 20 prochaines années?

Mélanie :

Donc, on parlait tout à l’heure de se renouveler. Oui, il y a la technologie, il y a les ordinateurs, donc on va être capables de faire plus de choses, plus rapidement. Définitivement, en recherche, ça va être le cas. On voit aussi de l’évolution chez l’humain, chez les méthodes d’apprentissage. On voit qu’il y a de plus en plus d’inclusion de gens avec des troubles d’apprentissage et ce, même à l’université. On adapte notre enseignement. On doit se renouveler. Donc, comment ça va être dans 20 ans, est-ce qu’on va être avec encore plus d’apprentissage par projets, est-ce qu’on va être encore plus avec des classes inversées? Peut-être. Peut-être qu’on aura changé de bord radicalement. Je pense qu’on va évoluer. C’est difficile de se projeter dans 20 ans, mais il faut être prêts à se dire ça ne sera pas comme maintenant.

Aimy :

Ça va continuer d’avancer.

Mélanie :

Ça va continuer d’évoluer. Vers où?

Aimy :

C’est ça qui est pas encore clair.

Mélanie :

J’ai hâte de le voir, mais je le verrai en temps et lieu, là.

Aimy :

Puis, quant à la recherche dans ton domaine?

Mélanie :

La recherche dans mon domaine spécifique où j’utilise des satellites, veut, veut pas, la technologie augmente et il y a de plus en plus de satellites qui sont en orbite, qui vont amener des nouveaux concepts. Donc, je travaille particulièrement en collaboration pour un nouveau concept de satellite dont le lancement est prévu en 2021. Donc, tout ça va nous amener des nouvelles observations, on va les analyser, on va voir. Mais, il y a toujours un risque, lorsqu’on lance un satellite, il peut arriver un pépin, il peut arriver plein de choses. On va voir, puis ça va sûrement évoluer avec des nouveaux capteurs. Ce qui va changer beaucoup, spécifiquement, dans mon domaine, dans les peut-être 10 prochaines années, c’est les drones, qui vont être de plus en plus utilisés pour étudier les milieux naturels. On est encore dans tout ce qui est drone, vol à vue. Donc, il faut voir le drone lorsqu’on le fait voler, donc on a une limite de distance. Dans 20 ans, probablement qu’on va être en vol non à vue et là, ça va permettre d’étudier le territoire. Si on pense, par exemple, à étudier la neige dans le Grand Nord, actuellement, c’est extrêmement difficile, mais si on a des drones avec des vols non à vue où on laisse aller les drones, on va avoir une quantité d’informations. Il y a tout ce qui est machine learning, donc apprentissage automatique, l’intelligence artificielle qui prend de plus en plus de place un peu partout, tout ce qui est le big data, donc, la grande quantité d’informations. La venue de beaucoup de capteurs va amener, aussi, beaucoup de traitement de données. Je fais déjà beaucoup d’apprentissage automatique, puis de, de…

Aimy :

Et en ayant plus de données, on risque d’en faire encore plus.

Mélanie :

Puis, les méthodes se développent. Les méthodes se raffinent. Donc, s’adaptent aux différents domaines, également. Donc, on va être dans ce monde-là, de, d’intelligence artificielle, de données, d’observation donc, et de capacités informatiques qui vont en grandissant.

Aimy :

Super intéressant. Dernière question dans la grande série de questions : Si tu rencontrais quelqu’un, comme ça doit t’arriver souvent, mais, si tu rencontrais quelqu’un qui était intéressé par ton domaine, quel conseil tu leur donnerais dès maintenant pour pouvoir s’en rapprocher?

Mélanie :

Bien, il va falloir qu’ils soient persévérants. C’est comme définitif.

Aimy :

La base.

Mélanie :

Pas lâcher. Et puis, ensuite, il y a des, des… Peut-être qu’aller chercher dès le baccalauréat, si déjà au baccalauréat sont intéressés, moi je veux devenir professeur d’université, d’aller chercher un mentor qui va leur permettre de connaître tous les petits trucs pour soumettre des demandes de bourses parce que lorsqu’on est à la maîtrise, au doctorat, on peut obtenir des bourses d’excellence. Il y a des petits détails, par exemple, y a d’être stagiaire dans un groupe de recherche pendant qu’on est au baccalauréat qui va nous aider peut-être à avoir une publication pour avoir les bourses à la maîtrise. Ensuite, aller à l’étranger va favoriser le dossier de recherche pour devenir professeur d’université. Donc, pour voir comment la recherche se fait ailleurs. Donc, toutes les études ne doivent pas être faites dans la même université parce que, sinon, on va avoir l’impression que la personne va avoir appris une seule manière de faire la recherche. Donc, il faut aller dans plusieurs…

Aimy :

… Élargir nos horizons.

Mélanie :

Et voilà.

Aimy :

J’entends aussi une notion d’implication, hein? Je peux pas juste aller à mes cours, rentrer chez moi, avoir des bonnes notes. Faut aussi que je m’implique, que je fasse de la recherche que je me présente aux professeurs. Y a comme un morceau au-delà de juste ce qu’on m’a demandé de faire à la base.

Mélanie :

Oui, puis ça va être toute, dès le départ dans les demandes de bourses vont être évalués les services à la collectivité. Donc, faire partie de comités, d’organiser des conférences scientifiques, et cetera. Donc, d’aider, être bénévole pour des conférences, des choses comme ça va venir bonifier le dossier. À la maîtrise, être auxiliaire pour des cours, donc donner des charges de travaux dirigés, faire la correction. Au doctorat, essayer de donner une ou deux charges de cours, par exemple. Il va probablement falloir faire un post-doctorat, si le doctorat a pas été fait à l’étranger, faire le post-doctorat à l’étranger. Mais, pour connaître tous ces petits détails-là, si y a un professeur qui peut être un petit peu mentor, pour venir donner des petits trucs, bien… si tu fais telle chose, ça va bonifier ton dossier, ça va te donner des chances pour aller chercher les bourses pour poursuivre après. Puis, là, une fois que tu as une bourses, tu as plus de chances d’avoir une autre bourse et ainsi de suite. Ça va donner ces grandes lignes-là et je pense que d’avoir un mentor dans n’importe quel métier, c’est quelque chose qui t’amène à performer, à atteindre tes buts plus que si tu es un petit peu laissé…

Aimy :

… à soi-même.

Mélanie :

À toi-même.

Aimy :

Mélanie, ça a été super intéressant. Merci beaucoup.

Mélanie :

Ça fait plaisir.

Aimy :

Merci à notre invitée et merci à vous d’avoir écouté cet épisode des Portraits professionnels. Pour plus de détails sur cette profession, visitez notre site internet au www.saltoconseil.com.