NEUROSCIENCES
AVEC HÉLÈNE GIROUARD
Février 2022 | Musique et montage par Alex Andraos
Hélène Girouard est professeure au département de pharmacologie et de physiologie à la faculté de médecine de l’Université de Montréal et chercheur à l’Institut Universitaire de gériatrie de Montréal. Hélène étudie particulièrement la circulation cérébrale, donc comment le sang circule dans le cerveau et comment cette circulation peut participer à l’évolution des démences, comme dans la maladie d’Alzheimer par exemple. Elle nous décrit son parcours, le cycle de vie habituel d’une recherche et son quotidien professionnel, du choix des grands axes de recherche à la rédaction d’articles scientifiques en passant par la gestion d’un labo, des techniciens jusqu’aux souris.
Liens interessants
Hélène Girouard, PhD
Département de pharmacologie et physiologie de l’Université de Montréal
Groupe de Recherche sur le Système Nerveux Central
Centre interdisciplinaire de recherche sur le cerveau et l’apprentissage
Centre de Recherche de l’Institut Universitaire de Gériatrie de Montréal
Mentors Academos dans ce domaine
Aussi disponible sur Apple Podcasts, Google Podcasts, YouTube et Spotify
PORTRAIT DE CHERCHEUSE: NEUROSCIENCES
AVEC HÉLÈNE GIROUARDAimy :
Bonjour et bienvenue aux portraits professionnels, le balado où l’on tente de clarifier différentes professions du marché du travail. Aujourd’hui on vous dresse un portrait de chercheur. Hélène Girouard est professeure au département de pharmacologie et de physiologie à la faculté de médecine de l’Université de Montréal et chercheur à l’Institut Universitaire de gériatrie de Montréal. Hélène étudie particulièrement la circulation cérébrale, donc comment le sang circule dans le cerveau et comment cette circulation peut participer à l’évolution des démences, comme dans la maladie d’Alzheimer par exemple. Elle nous décrit son parcours, le cycle de vie habituel d’une recherche et son quotidien professionnel, du choix des grands axes de recherche à la rédaction d’articles scientifiques en passant par la gestion d’un labo, des techniciens jusqu’aux souris. On discute aussi de résilience face à la critique, de gestion humaine d’une équipe scientifique et d’opportunités constantes d’apprentissage. Hélène Girouard, bonjour!
Hélène :Bonjour!
Aimy :Tu vas bien?
Hélène :Oui très bien. Toi?
Aimy :Ça va bien, merci. Alors on se rencontre aujourd’hui pour discuter de ce que tu fais au travail. Est-ce que tu veux nous nommer ton titre?
Hélène :Mon titre c’est : Je suis professeure au département de pharmacologie et de physiologie à la faculté de médecine de l’Université de Montréal, puis je suis chercheur aussi à l’Institut Universitaire de Gériatrie de Montréal.
Aimy :OK donc ta signature dans tes courriels elle prend cinq lignes, c’est ça?
Hélène :Oui! (rire)
Aimy :Je te rencontre aujourd’hui parce que j’avais envie de tracer avec toi un portrait de chercheur. Donc tu as un volet qui est enseignement dans ton quotidien professionnel, puis tu as un quotidien qui est plus recherche. Aujourd’hui j’aimerais m’attarder un peu à celui-ci. Quand tu dis aux gens que tu fais de la recherche dans le domaine de la pharmacologie, de la médecine, qu’est-ce que tu penses que les gens imaginent que tu fais de ton quotidien?
Hélène :Bien je pense que… ce qu’on me dit souvent en fait c’est que les gens n’ont aucune idée ou l’idée qu’ils ont c’est ce qu’ils voient dans les films, par exemple le scientifique fou tout seul dans son labo avec ses fioles, c’est un peu l’idée que les gens ont en général, mais souvent on me dit : « Je n’ai aucune idée de ce que tu fais de tes journées. Est-ce que tu es dans ton labo avec tes étudiants? » Souvent quand je dis que je suis professeure, les gens s’imaginent plus que je fais de l’enseignement. Donc c’est ça, je pense que c’est assez mystérieux. C’est pour ça que je suis contente aujourd’hui de parler de ce que je fais pour un peu enlever le mystère.
Aimy :Enlever le mystère ou le cliché du savant fou en sarreau qui mélange des solutions de plein de couleurs. OK! Alors si on essayait de commencer juste pour illustrer un peu ce que tu fais, de commencer par démystifier les thématiques que tu abordes ; les problématiques que tu observes dans ta recherche.
Hélène :OK, bien moi je m’intéresse beaucoup à tout ce qui est circulation cérébrale, donc comment le sang circule dans le cerveau puis comment est-ce que, si je suis une personne âgée, cette circulation-là peut être affectée puis participer à l’évolution des démences. Donc ça c’est mon thème principal. Comment est-ce que ce thème-là est venu? C’est que quand j’étais étudiante au doctorat je travaillais sur un thème complètement différent, c’est-à-dire que je travaillais sur l’hypertension artérielle. L’hypertension artérielle comme vous le savez, c’est plus quelque chose qui atteint les vaisseaux sanguins, mais à l’extérieur du cerveau, dans le sens que c’est une augmentation de pression quand le cœur bat, donc une augmentation de pression dans les artères. Ça inclut le cerveau, mais c’est, en fait… quand on y pense on pense à toutes les artères à l’extérieur du cerveau. Le problème avec l’hypertension artérielle souvent les gens se disent « Mais pourquoi est-ce qu’on traite l’hypertension artérielle? » parce que les gens n’ont pas de symptômes nécessairement, c’est plus un facteur de risques. Puis un risque de ça c’est justement d’affecter le cerveau. Quand j’étais étudiante ce qu’on savait c’est que c’était un risque pour les accidents cérébraux-vasculaires, mais il y a commencé à avoir des études épidémiologiques qui montraient un lien avec la maladie d’Alzheimer. C’est là que l’idée m’est venue d’aller approfondir cet aspect-là, puis d’essayer de comprendre comment est-ce que des altérations vasculaires peuvent affecter la maladie d’Alzheimer, parce qu’à l’époque, on comprenait cette maladie-là plus comme une maladie des neurones. Puis maintenant, on sait que c’est vraiment un ensemble de processus, que ce soit vasculaires, inflammatoires, qui viennent affecter les neurones.
Aimy :OK, donc ce focus que tu avais déjà sur le système circulatoire a comme un peu “shifté”. Donc on est passé du reste du corps à ce qui se passe dans le cerveau, en lien avec les différents systèmes qui peuvent interagir et avoir un impact sur l’Alzheimer entre autres.
Hélène :C’est ça. Moi ma formation c’est en physiologie cardio-vasculaire puis là je me trouve à travailler plus en neurosciences, mais ma formation initiale c’est en cardio-vasculaire, ce qui rend les choses intéressantes parce que j’ai un point de vue, un regard différent de quelqu’un qui a été formé en neurosciences. Donc dans ce sens-là moi j’apporte des idées nouvelles, parce que j’ai une perspective qui est complètement différente.
Aimy :C’est la beauté de la multidisciplinarité, hein?
Hélène :Oui, oui. Moi je travaille chez la souris surtout, mais j’ai aussi des études chez les humains. Ce qu’on fait chez les humains, c’est non invasif. On évalue par exemple la pression artérielle, on évalue la rigidité des vaisseaux sanguins, on prend des prises de sang pour connaître certains… évaluer s’il y aurait certains biomarqueurs de dysfonctions vasculaires dans le cerveau. On fait aussi des tests neuropsychologiques. Tout ça je fais ça en collaboration avec une neuropsychologue bien sûr. Puis aussi on fait de l’imagerie par résonnance magnétique, donc on fait passer un scan à nos sujets, nos participants je devrais dire, puis encore là on collabore avec des physiciens, des ingénieurs qui nous aident par des analyses d’images. Donc tout ça c’est vraiment en collaboration avec des gens de différentes expertises.
Aimy :OK, ça fait que tout ce beau monde-là ensemble va travailler sur cette thématique-là.
Hélène :Oui.
Aimy :Si on essayait d’imager cette fois-ci une journée typique. Là, je sais que personne n’a des journées typiques et que personne ne fait la même chose toute la semaine, mais les grandes lignes : Si j’avais un drone dans ton bureau, puis que je survolais ta tête puis que je regardais qu’est-ce que tu faisais dans une journée, qu’est-ce que je pourrais voir par exemple.
Hélène :Bien la beauté d’être chercheur, c’est que c’est une profession qui n’est absolument pas routinière, donc c’est sûr que de répondre à cette question-là, c’est quoi une journée typique… bien j’imagine que personne n’a nécessairement une journée typique, mais peut-être encore moins chercheur. Je dirais que ce qu’on fait : On lit beaucoup, on doit toujours être au courant de la littérature, on écrit aussi beaucoup, dans le sens qu’on écrit des articles, on écrit des demandes de subventions. On travaille aussi beaucoup… c’est un travail qui est moitié solitaire et moitié avec les gens, dans le sens que je rencontre beaucoup mes étudiants de laboratoire. J’ai des étudiants dans… j’enseigne dans des classes, mais j’ai aussi mes étudiants qui sont dans mon laboratoire, ceux de maîtrise, doctorants, puis les stagiaires postdoctoraux. Il y a aussi des stagiaires, des gens qui sont au baccalauréat, parfois même du Cégep ou d’écoles secondaires qui viennent passer une journée ou deux pour voir justement c’est quoi la vie d’un chercheur.
Aimy :Je t’arrête juste deux secondes, excuse-moi, est-ce que tu entends toi aussi?
Hélène :Oui c’est le chauffage dans mon bureau.
Aimy :(Rire) OK pas de problème, oui je t’écoute.
Hélène :Et donc là… c’est ça donc…
Aimy :Tes stagiaires…
Hélène :La moitié de la journée c’est de travailler avec mes étudiants ou mes collègues avec lesquels on planifie des nouveaux projets ou on planifie de nouveaux protocoles. On essaie d’améliorer par exemple un protocole ou un projet de recherche avec les étudiants, bien je les rencontre régulièrement justement pour voir leurs résultats et puis discuter des prochaines étapes, discuter de comment est-ce qu’on peut améliorer une technique s’il y a des problèmes techniques aussi, qu’est-ce qu’on peut… quelles solutions on peut leur apporter. Donc c’est une autre partie de mon travail c’est de donner des conférences et écouter des conférences aussi justement pour se tenir informer. On a un peu de travail administratif, de participer par exemple à des réunions départementales où chacun peut avoir un rôle, par exemple à planifier ou l’enseignement, ou par exemple en ce moment je fais partie d’un comité où on essaie de revoir la qualité de notre enseignement aux études supérieures au département. On a différents rôles. Je peux faire aussi partie d’un comité international pour une société par exemple une société de recherche, soit internationale ou au niveau national. On a aussi des rencontres avec différents chercheurs, autant à l’université, au Québec, au Canada ou à l’international. On essaie d’étendre notre réseau le plus possible, autant en terme géographique qu’en terme d’expertise. Par exemple je vais collaborer avec des, comme je te disais tantôt avec des neuropsychologues, avec des médecins, avec des infirmiers, avec… là je dis tout masculin, mais il y a des femmes aussi là. Donc c’est ça, différents collègues pour justement avec un regard plus complet sur une problématique.
Aimy :Donc quand on dit que toutes ces tâches sont super variées puis ça passe de la lecture à faire un colloque à l’international, est-ce que ce sont des étapes qui vont venir de manière un peu linéaire dans un projet de recherche ou en fait je mène plusieurs dossiers de front?
Hélène :C’est plusieurs dossiers de front. Ce qui est particulier comme chercheur, c’est qu’on est formés au laboratoire. Moi jusqu’à ce que j’aie mon poste à l’université je ne faisais à peu près que du laboratoire. C’est sûr que j’écrivais mes articles, je participais à des congrès, mais ce pourquoi j’ai été formée c’est vraiment pour la recherche, donc faire des expériences, analyser mes données, écrire des articles. Quand on devient professeure c’est très très différent, parce que là notre rôle c’est de gérer une équipe de recherche. C’est plus administratif, c’est plus au niveau des idées. On ne fait plus beaucoup d’expériences en laboratoire. Quand j’interviens en laboratoire c’est plus pour régler des problèmes techniques, mais je vais rarement effectuer toute une série de recherches pour l’obtention des données, c’est vraiment plus mon équipe qui le fait. Donc là il s’agit de décider des avenues de recherche, des grandes avenues. Quand on est étudiant on peut décider de petites avenues, de petites choses, mais les grandes avenues de recherche, les grandes orientations, ça c’est ce qu’on fait quand on est professeur. Donc c’est vraiment de passer de… quand on dit linéaire, non ce n’est pas linéaire, c’est vraiment un peu peut-être les six premiers mois, oui il y a l’aspect linéaire dans le sens qu’on commence à installer notre laboratoire, on commence à faire nos demandes de subventions, puis recruter tout ça, mais après la première année ce n’est plus linéaire du tout. Il y a du chevauchement parce que justement on a plusieurs projets, donc les projets se chevauchent. Un se termine, un autre commence, un autre peut être à mi-chemin, donc c’est vraiment un peu pêle-mêle.
Aimy :Alors si on essayait de voir cette fois-ci la vie d’un projet. Donc si on était dans un monde parallèle où est-ce que tu aurais juste un projet à mener de front à la fois. On a toujours cette vision de : On est au secondaire, on apprend la méthode scientifique, tu émets une hypothèse et blablabla… mais si on essaie maintenant de voir dans la vraie vie, quelle forme est-ce que ça pourrait prendre?
Hélène :Bien ce n’est pas très différent en réalité. Ça part d’une hypothèse. L’hypothèse doit être formulée à partir de quelque chose de solide quand même. Ça ne doit pas venir de nulle part. On peut avoir des idées originales, mais il faut qu’il y ait plusieurs données qui supportent ça, sinon il n’y a personne qui va nous donner de l’argent.
Aimy :Donc quand on parlait de lecture tout à l’heure c’est un peu ça hein? Je vais regarder ce que les autres chercheurs ont dit dans le domaine, je vais m’inspirer de ça puis émettre une nouvelle hypothèse. C’est un peu ça?
Hélène :Exactement, c’est ça. Ça peut être soit à partir de lectures ou de données qu’on a eues au préalable dans le laboratoire. On émet une hypothèse. Donc là il faut à partir de ces hypothèses-là aller chercher des résultats préliminaires, parce que l’hypothèse fait du sens. Donc on peut… par exemple si on se dit : « Est-ce que le sommeil peut avoir un impact sur la maladie de l’Alzheimer? » Donc on va faire une petite étude pilote à savoir est-ce que justement les gens qui souffrent de maladie d’Alzheimer vont avoir des troubles de sommeil. Donc si oui, il y a quelque chose, je vous donne un exemple de quelque chose de déjà connu, donc là on a une étude pilote et ça nous dit « Oui il y a quelque chose d’intéressant, c’est une piste qui est valide. » Donc là on va écrire une demande de subvention et là il y a des gens, des évaluateurs de l’extérieur qui vont l’évaluer voir si… Soit l’approuver telle quelle ou ne pas approuver et nous donner des conseils pour une prochaine soumission et donc là on suit les conseils si on pense qu’ils sont valables. Normalement ils sont assez valables parce que ce sont des experts qui nous évaluent, et puis là on resoumet le projet avec une approche améliorée ou plus étoffée. Puis finalement le projet, normalement, finit par être accepté quand ça a du sens et puis on reçoit l’argent, donc on commence le recrutement. C’est pour ça que ça prend du temps, la recherche. En ce moment on a un exemple avec la Covid, on essaie d’avoir quelque chose de rapide là, mais normalement la recherche c’est un long long processus. Donc là on recrute, il faut former les étudiants aux techniques parce que quand ils arrivent dans le laboratoire ils ne connaissent pas ces techniques-là.
Aimy :
Puis les étudiants, si j’essaie encore d’imager un peu, ce sont des étudiants à la maîtrise, au Doc, ça fait partie de leur projet de recherche aussi?
Hélène :Exactement, maîtrise, doctorat ou ça peut être des stagiaires au postdoctoral. Donc là on les forme. C’est sûr que la formation d’un étudiant de maîtrise ça doit être plus modeste qu’un étudiant au doctorat parce qu’une maîtrise c’est deux ans et un doctorat c’est à peu près quatre, cinq ans. On ne leur donne pas les mêmes défis. Il faut planifier aussi notre recherche en fonction de ce qu’on peut demander à notre équipe. Moi j’ai une technicienne dans mon laboratoire. Elle c’est sûr qu’elle est ici à long terme, elle connait les techniques, je peux me fier sur elle pour plein de choses. Mes étudiants bien je peux m’y fier aussi, mais il faut ajuster les défis en fonction de ce qu’ils font et en fonction aussi de leur formation parce que j’ai des étudiants qui viennent de partout. Donc il y a des gens qui ont été formés en laboratoire, par exemple les étudiants de l’Université de Montréal en biochimie ou en sciences biomédicales sont très bien formés en laboratoire. Donc je peux leur donner de plus grands défis, mais les étudiants qui viennent d’endroits où le budget est assez restreint, ils n’ont pas de formation comme tel en laboratoire, donc là on doit les former encore plus, les tenir encore plus par la main.
Aimy :Parce qu’il y a une partie vraiment très intellectuelle : Je dois imaginer, je dois concevoir l’hypothèse et tout, mais il y a un morceau qui est vraiment très technique, très concret hein? J’utilise des outils et je dois faire des manipulations, puis si ce n’est pas bien fait bien la recherche ne fonctionne pas. C’est ça que je comprends.
Hélène :Exactement, bien ça dépend des domaines, parce que dans le domaine dans lequel je suis là, les défis techniques sont énormes. Ça prend des gens très débrouillards. Quelqu’un qui a de la misère à trouver des solutions aux problèmes, bien je lui conseillerais de faire autre chose ou de faire un autre type de recherche, parce que c’est vraiment… des problèmes techniques il y en a énormément, puis les défis sont énormes, dans le sens que ça évolue très rapidement. Tout ce qui est recherche sur le cerveau chez l’animal, ça évolue très rapidement, parce qu’il a été une époque où il y avait très peu de choses qui se faisaient. En général, si je pars de quand j’étais étudiante dans les années 90 là, c’était l’électrophysiologie, donc les gens plantaient une électrode et mesuraient l’activité des neurones. C’était grossièrement ce qui se faisait. Depuis les années 2000, il y a eu énormément de développements au niveau technique, soit de manipulations génétiques, il y a aussi… ce qui s’est beaucoup développé ce sont des espèces d’agents fluorescents qui permettent d’identifier des molécules, qu’on peut voir en microscopie. Donc qu’on peut voir « In Vivo », chez l’animal vivant, on peut voir ce qui se passe, l’activité du cerveau grâce à ces molécules fluorescentes. Donc ce sont des choses qui se sont beaucoup beaucoup développées depuis le début des années 2000 et ça évolue très rapidement. Les défis techniques sont énormes.
Aimy :Alors un défi technique, si on nommait un exemple dans une de vos recherches courantes. Le téléphone sonne, c’est un étudiant qui dit « Je n’arrive pas à faire… ». Ça pourrait ressembler à quoi?
Hélène :Ah! Il y a énormément de choses! Ça peut être simplement, par exemple là un défi technique, on essaie de travailler sur un animal qui est éveillé, parce qu’avant on utilisait des animaux anesthésiés, mais on sait très bien que les anesthésiants vont taire des activités neuronales. Maintenant de plus en plus on essaie de travailler chez l’animal éveillé, mais on ne veut pas que l’animal éveillé souffre, l’animal éveillé ne doit pas être stressé, donc il faut élaborer tout un protocole pour minimiser le stress de l’animal. Il y a de l’interférence entre certains mouvements de la souris éveillée versus ce qu’on essaie de voir, donc là c’est à savoir : Est-ce que notre souris on doit la laisser courir, est-ce qu’on doit la laisser hmmm… (rire) ou on doit plus l’immobiliser. Donc ça ce sont des stratégies par rapport à la souris. Ensuite on a tout ce qui est microscopie. Par exemple, les étudiants m’appellent et me disent : « Bon, le signal fluorescent est très faible. Quel pourrait être le problème? Est-ce que c’est parce que l’agent fluorescent a été acheté il y a trop longtemps et sa fluorescence a diminué? Est-ce que ça peut être la concentration? Est-ce que ça a pu être mal injecté? Est-ce que c’est le microscope qui détecte mal et s’il détecte mal, est-ce que c’est parce que les lasers sont mal alignés? » Donc…
Aimy :J’adore, c’est la vraie vie!
Hélène :Il peut y avoir une infinité de problèmes possibles.
Aimy :C’est comme le bureau du coin : Pourquoi mon imprimante ne marche plus? Mais fois un million de possibilités.
Hélène :Oui il y a beaucoup de possibilités.
Aimy :OK, parfait. Donc on revient encore au processus. Alors on s’est dit : On recrute les étudiants, on les forme, les défis techniques qui viennent avec tout ça, on les forme en fonction de ce qui est en lien avec où ils en sont dans leur parcours, ensuite?
Hélène :Ensuite, bon, les étudiants collectent les données. Pendant la collecte, il y a encore des défis techniques qui vont se révéler et puis là, selon les premières données on se dit : « OK c’est intéressant, est-ce que ça confirme dans un sens, ça confirme l’hypothèse ou ça mène à une autre hypothèse? ». Donc là on prend des directions différentes en fonction des données qu’on a et puis finalement, avec l’ensemble de nos données on décide d’écrire un article. Et l’article, donc… s’il y a des évaluateurs qui vont nous donner des conseils à savoir comment améliorer l’article, parfois l’article est refusé donc il faut cogner à la porte d’un autre journal. Être chercheur aussi, je décris plusieurs étapes, mais ça prend énormément de résilience parce qu’on est constamment critiqués, soit quand on soumet nos demandes de subventions, quand on soumet nos articles, on est constamment soumis aux critiques. Donc ça prend beaucoup d’ouverture d’esprit, d’humilité et de résilience pour passer à travers toutes ces étapes-là de façon je dirais équilibrée ou saine. Oui.
Aimy :Donc il y a vraiment un travail personnel aussi à faire. Si je ne veux pas perdre trop de plumes à chaque fois qu’on me dit non, comment est-ce que moi je m’auto-régule, comment est-ce que moi je balance tout ça pour être capable de poursuivre dans cette carrière-là.
Hélène :Bien en fait l’attitude qu’il faut avoir c’est vraiment une attitude de « J’évolue ». On me critique, mais ça m’aide à évoluer. Ceux qui me critiquent ce sont les gens qui m’aident à évoluer. Il ne faut pas le voir d’une façon négative dans le sens de sentir qu’on est diminuée comme personne, mais vraiment qu’on est entourés par des gens qui nous aident à évoluer, puis la meilleure façon aussi de le faire c’est de consulter régulièrement nos collègues et même nos étudiants. Moi j’essaie d’avoir un rapport qui n’est pas nécessairement… c’est sûr que moi j’ai plus d’expérience que mes étudiants, mais ce n’est pas parce que je suis la superviseure que mes étudiants ne peuvent pas apporter des choses intéressantes ou des commentaires ou des critiques intéressantes. Donc ça, c’est vraiment de cueillir avant même d’en arriver à soumettre une demande de subvention ou un article, vraiment faire le tour le plus possible des gens autour de nous pour les consulter, puis arriver à un produit qui est de bonne qualité et ensuite là on va vers des gens de l’extérieur, parce que c’est aussi très bien d’avoir un regard de gens qui nous connaissent plus ou moins là, vraiment un regard objectif par rapport à ce qu’on fait. C’est ça, le voir d’une façon constructive puis comme quelque chose qui va nous amener à un travail de meilleure qualité.
Aimy :C’est vraiment un travail d’équipe, hein? Ce cliché du savant fou tout seul avec son sarrot, ce n’est pas ça là.
Hélène :Ah non, puis c’est de moins en moins ça. Comme je te disais tantôt là, c’est autant au niveau de l’équipe dans le laboratoire qu’au niveau national, international, de plus en plus la recherche ça se fait en équipe puis c’est multidisciplinaire, ce n’est plus juste… parce qu’il y a tellement de connaissances actuellement, on ne peut pas rester dans son coin avec notre petite expertise, puis espérer faire une excellente recherche.
Aimy :Quand je regarde même ton parcours à toi je me rends compte que même là il y a un peu de pluridisciplinarité. Si je recule un peu en arrière, si je remonte à Hélène au secondaire, qu’est-ce que j’aurais vu comme étudiante.
Hélène :(Rire) Hmmm, bien j’ai toujours aimé étudier, donc je ne suis pas quelqu’un qui a changé du tout au tout à une partie de ma vie, j’ai toujours aimé les études, j’ai toujours été curieuse. Ça fait très longtemps que je sais que je veux être chercheur, ça fait depuis le primaire.
Aimy :C’était quoi cette idée-là au primaire?
Hélène :Je ne sais pas exactement comment c’est parti parce que je ne connaissais pas de gens dans le domaine. Je n’en connaissais pas du tout, mais je me souviens que quand j’étais au primaire on nous avait demandé ce qu’on voulait faire plus tard, puis moi j’avais écrit avec des mots d’enfant que je voulais inventer des médicaments. Donc c’était assez clair, mais je ne savais pas trop par quel chemin je devais passer, puis c’est plus en secondaire deux, j’avais rencontré une amie de ma mère qui était aussi orienteur, puis elle m’avait dit : « Qu’est-ce que tu aimerais faire dans la vie? ». Puis là je lui avais dit : « Bien moi j’aimerais enseigner ou faire de la recherche ». Puis j’avais dit qu’il y avait deux domaines qui m’intéressaient particulièrement : La biologie et la psychologie. Puis elle m’avait répondu : « Bien c’est simple, tu pourrais être professeure à l’université en neuropsychologie ». Puis là j’avais dit : « Hein! Un prof d’université ça enseigne et ça fait de la recherche? ». Elle m’avait dit : « Oui, ça fait les deux! ». Là, c’est là que je me suis dit : « Bien c’est parfait, c’est exactement ce que je veux faire. ». Le parcours à partir du secondaire, ça m’a orienté dans mes choix pour par exemple faire plus de sciences, puis ensuite au Cégep le parcours était assez clair. C’est plus à l’université là que je ne savais pas trop, je savais que je voulais être chercheur, mais je ne savais pas trop par quel chemin passer. J’ai décidé de faire du BAC en biologie, mais aujourd’hui avec le recul je sais que ça aurait pu être un BAC dans différents domaines qui m’auraient menée vers autre chose. Autant hmmm… par exemple je m’intéressais beaucoup à la physiothérapie, j’aurais pu faire un BAC en physiothérapie, puis après ça décider d’être chercheur en physiothérapie, comme j’ai des collègues qui ont pris ce chemin-là. Donc il y a plusieurs possibilités. Moi j’avais pris un peu naïvement là biologie à l’UQAM. À l’UQAM ils offraient un programme assez intéressant qui était toxicologie et physiologie. La physiologie m’avait beaucoup passionnée, mais je pense que n’importe quel chemin que j’aurais pu prendre dans le domaine de la santé aurait été pertinent.
Aimy :Donc ça a été le BAC puis la maîtrise en bio, puis par la suite?
Hélène :Puis par la suite j’ai décidé de faire un doctorat en physiologie. Ma maîtrise en fait elle est officiellement en biologie, mais c’était de la physiologie que je faisais déjà. C’était à l’époque, je m’intéressais à l’obésité, puis à l’endocrinologie. Puis ensuite, à l’époque, bien en fait c’était l’obésité, l’endocrinologie, mais toujours avec le système nerveux autonome, ce qui m’a mené vers le cardiovasculaire, mais encore en relation avec le système nerveux autonome, donc c’était la relation entre le système nerveux autonome et les vaisseaux sanguins, ce qui m’a menée après en stage postdoctoral à m’intéresser à la relation entre les neurones dans le cerveau et les vaisseaux sanguins.
Aimy :OK. Puis quand tu dis “ce qui m’a menée”, concrètement c’est quoi? C’est d’avoir lu d’autres recherches, d’avoir participé à des recherches, d’avoir été en contact avec des chercheurs?
Hélène :C’est… dans mon cas ça a été beaucoup de hasards. Avant le doctorat ça a été beaucoup de hasards, après ça pour les stages postdoctoraux là ce n’était plus des hasards, je savais exactement ce que je voulais. À l’époque quand j’étais au BAC je ne savais pas trop si je voulais aller en neuropsychologie, c’était une avenue qui m’intéressait aussi. J’avais fait un stage en neurologie de la perception musicale avec Isabelle Peretz qui est très connue, qui est prof à l’Université de Montréal. Donc ça m’avait beaucoup intéressé, mais comme j’avais un BAC en biologie, tout l’aspect moléculaire me passionnait davantage. Moi je m’étais dit : « Je voudrais revenir vers cette voie-là, mais plus avec un regard moléculaire. ». Les stratégies en neuropsychologie à l’époque, parce que ça a beaucoup changé, ne m’intéressaient pas tellement. Aujourd’hui ils utilisent beaucoup plus la biologie pour répondre à leurs questions, mais à l’époque c’était vraiment des questionnaires et moi ça ne m’excitait pas tellement. Donc c’est pour ça que j’ai décidé de faire une maîtrise en physiologie, mais ma décision a été un petit peu précipitée, parce que j’étais convaincue d’aller en neuropsychologie puis là j’ai pris une décision de dernière minute. Puis comme j’avais fait un stage à l’UQAM en physiologie sur l’obésité parce que c’était un peu… bon en tout cas c’était… j’avais un prof à l’époque, Roland Savard, qui m’enseignait en physiologie puis je trouvais ce qu’il faisait très intéressant, puis je trouvais que c’était un bon prof. Alors j’avais décidé de faire une maîtrise en obésité, mais c’était vraiment plus parce que je connaissais le labo, je connaissais le chercheur, plus que la thématique comme telle. Puis après ça, là j’avais envie d’aller vraiment plus vers la neuro et je voulais absolument aller dans un labo très compétitif, donc là j’avais appliqué à différents endroits, mais les labos qui m’intéressaient le plus c’était malheureusement des labos où les gens partaient à la retraite ou étaient en année sabbatique, donc j’ai abouti dans le laboratoire de Jacques de Champlain, qui est un laboratoire très réputé, mais l’hypertension artérielle à priori ce n’était pas le sujet qui m’intéressait le plus. Donc c’est un paquet de hasards qui ont… là je me suis intéressée à la dynamique entre les neurones et les vaisseaux sanguins, puis finalement j’ai fini par aboutir à ça dans le cerveau, ce qui était au départ ce que je voulais faire, travailler dans le cerveau (rire). Donc j’ai pris des gros gros détours pour finalement arriver dans le cerveau, mais mon apprentissage dans l’équipe de Jacques de Champlain puis aussi le regard que j’ai eu, toutes les connaissances que j’ai acquises en maîtrise par rapport à l’obésité et à l’endocrinologie, c’est devenu une richesse parce que justement j’ai une perspective qui est très différente de quelqu’un qui a eu un apprentissage en neuro là, tout le long de son cheminement. Donc ça a été des drôles de détours, mais finalement qui m’ont servie.
Aimy :Est-ce qu’il me manque des morceaux dans le parcours scolaire?
Hélène :Hmmm non, après ça bien ça a été les stages, un stage postdoctoral. Ça aussi c’est un peu mystérieux pour les gens, parce que les gens se demandent pourquoi on fait ça puis…
Aimy :Oui, pourquoi on fait ça?
Hélène :(Rire). Bien il y a plusieurs raisons, plusieurs excellentes raisons à mon point de vue, là. Je pense que même si je n’avais pas décidé de devenir chercheur, j’en aurais fait un juste pour l’expérience humaine. Un stage postdoctoral, ça ne donne pas lieu à un diplôme pour commencer, puis l’idéal dans un stage postdoctoral, c’est d’aller dans un autre pays, ce qui est pour moi je pense une expérience humaine extraordinaire, parce que… Moi je suis née au Québec et je suis restée au Québec toute ma vie, puis l’expérience d’une perspective complètement différente, d’une culture différente, même si je ne suis pas allée très très loin là, on s’entend, je suis allée aux États-Unis, mais c’est quand même une autre mentalité. C’est une autre façon de faire de la recherche. Ce qui est encore plus intéressant, c’est qu’on revient ensuite, moi je suis revenue au Québec en ayant un regard plus objectif par rapport à ma propre culture. Donc juste à ce niveau-là, au point de vue humain, culturel, c’est déjà énorme. C’est ça, je voulais absolument le vivre. L’autre raison c’est vraiment d’avoir l’opportunité d’aller dans les plus gros labos internationaux. Moi par exemple je voulais absolument aller au laboratoire du Docteur Constantino Iadecola qui était la seule personne à l’époque qui s’intéressait au rôle des vaisseaux sanguins et de l’hypertension artérielle dans le développement de l’Alzheimer chez la souris. Il y en avait qui s’intéressaient chez l’humain, mais qui avait vraiment cette expertise-là chez l’animal dans un contexte de recherche fondamentale? C’était Constantino Iadecola, puis c’était à l’université Cornell. Donc une grosse équipe! Les américains, il faut se le dire, ils ont la possibilité de recruter des gens de très très haut calibre, donc n’avoir que des stagiaires postdoctoraux dans leurs labos, que des gens avec de grandes formations, des gens qui ont déjà des doctorats et donc qui sont prêts à amener de nouvelles idées, donc c’est très très stimulant. Le rythme aussi à New York, dans ces grandes universités-là comme à Boston ou à Cornell, c’est un rythme qui est complètement fou là. Fou et stimulant, dans le sens qu’à chaque semaine, on arrive avec de nouveaux résultats, on a des réunions. Il y a plein d’idées qui se brassent, puis comme ce sont des gens qui ont beaucoup d’expérience le niveau est très très élevé, c’est extrêmement stimulant. Donc d’avoir l’occasion de vivre cette expérience intellectuelle c’est extrêmement enrichissant et de voir aussi, en termes de supervision d’équipe, c’est quoi les différents types de supervision. Moi j’ai connu qu’est-ce qui se fait au Québec. De savoir ce qui se fait aux États-Unis… j’aurais aussi aimé avoir l’occasion de voir ce qui se fait en Europe ou ailleurs, mais bon pour différentes raisons je suis restée aux États-Unis, mais c’était extrêmement enrichissant. Donc là on revient au Québec avec la tête remplie d’idées, remplie de nouvelles connaissances, de nouvelles expériences et puis là on peut apporter quelque chose de nouveau au Québec et au Canada.
Aimy :C’est super intéressant de voir comment un parcours que tu décris comme depuis très jeune, avoir cette vision claire de « Ah oui moi c’est de la recherche que je veux faire plus tard. », puis ensuite de voir que la ligne elle est rarement droite, puis elle est parsemée de hasards et de rencontres qui font qu’éventuellement bien ça donne ce que ça donne, mais j’entends comme une espèce de ligne directrice de “challenge”. Je m’en vais vers ce terreau fertile où est-ce qu’il y a des gens qui vont pouvoir être stimulants pour moi, un environnement stimulant, une structure qui va pouvoir me permettre d’aller un peu plus loin. Il y a cette quête là un peu, hein?
Hélène :Bien, bien c’est ça, je pense que moi ce qui m’a aidée c’est que justement j’ai eu la chance de rencontrer des personnes extrêmement enrichissantes. Comme je le disais tantôt, je ne connaissais pas de chercheurs moi, j’étais vraiment… ni dans ma famille ou dans mes amitiés avant l’université, donc j’étais vraiment comme un bébé naissant là. Je devais m’inspirer de tout ce que je pouvais et j’ai eu la chance de rencontrer des gens extraordinaires qui m’ont appris tellement, autant dans le processus scientifique et intellectuel qu’au niveau humain aussi. Comment est-ce qu’on doit réagir? Comme je le disais tantôt ça prend de la résilience, ça prend une attitude constructive. Donc comment réagir aux commentaires? Comment interagir avec nos collègues, avec nos étudiants? Donc ça c’est un apprentissage, il n’y a personne qui nous donne un cours comme tel là-dessus, mais c’est vraiment par observation, puis ça prend beaucoup d’humilité et d’ouverture d’esprit. Puis c’est ça, moi tout le long de mon parcours j’ai été très attentive à tous ces aspects-là pour grandir comme personne puis comme chercheur aussi.
Aimy :Qu’est-ce que tu dirais qui est le plus grand défi que tu rencontres au quotidien dans ta carrière de chercheur?
Hélène :Le plus grand défi au quotidien là, je dirais que c’est l’organisation du temps, donc même si c’est quelque chose de relativement facile pour moi, mais ça reste un défi parce qu’on a toujours… la recherche c’est un milieu très très compétitif et il faut être productif. Quand on dit “Publish or perish”…
Aimy :C’est vrai, hein?
Hélène :C’est vrai. Donc il faut… même s’il n’y a personne qui nous surveille au quotidien, c’est une profession où on est très libres, mais on doit quand même fournir des résultats, puis les résultats c’est dans les publications, mais il n’y a personne qui sait par où on est passé, les difficultés. Par exemple on peut avoir des étudiants qui sont tombés malades, qui ont eu des problèmes de santé, des étudiants qui ont fait des dépressions. Nous-mêmes on peut passer à travers différentes difficultés dans notre vie, dans notre laboratoire aussi parfois, c’est… moi j’ai eu une difficulté en termes de temps, le temps que ça a pris avant de recevoir un microscope, mais ça, toutes ces difficultés-là, quand on soumet une demande de subventions, les gens ne les connaissent pas. On peut dire par exemple « moi j’ai eu un congé de maternité », ça je le mentionne, mais tout le monde, dans nos vies on passe par différentes difficultés, mais on ne commence pas à énumérer tous les petits détails, puis chaque personne a des difficultés différentes, donc c’est ça. Il faut réussir à garder le cap tout le temps, tout le temps.
Aimy :Cette espèce de jonglerie entre tout ce qui va être professionnel, personnel, tous les dossiers un peu en même temps.
Hélène :Exactement, puis doser l’enseignement, doser tout l’aspect administratif, la recherche, le court terme, le long terme. Aussi il y a tout… parce qu’on peut être très productif, mais en étant une personne horrible, mais on peut être productif en étant quelqu’un d’humain aussi et j’essaie d’être productive en étant quelqu’un d’humain et c’est très important pour moi. Essayer de donner du temps de qualité à mes étudiants, je voudrais en donner encore plus et aussi ne pas avoir une attitude avec mes étudiants de… parce que… moi je garde en tête que je suis professeure, on n’est pas dans une… même si on nous demande d’être très productifs, c’est un peu la difficulté qu’on rencontre, on nous demande d’être productifs, mais en même temps on doit garder en tête qu’on est des professeurs et qu’on veut aider nos étudiants à évoluer. Évoluer dans un sens qui n’est pas de produire des données à tout prix, mais de les aider à cheminer dans le processus scientifique, donc prendre le temps de faire ça et pas de commencer à agir comme un dictateur. C’est facile de verser vers ça pour arriver à nos fins puis bien paraître comme chercheur avec plein de données et plein d’articles, mais le but à la base ce n’est pas ça, il faut garder en tête qu’on est prof d’université et qu’on a des étudiants, ce n’est pas des esclaves.
Aimy :Oui, important, important à ne pas oublier!
Hélène :(Rire). Important, mais avec la pression, je peux vous dire que ça peut être facile de perdre ça de vue.
Aimy :Alors encore cette idée de balance et de se dire que la vie personnelle ne sera jamais séparée de la vie professionnelle. On est un humain qui travaille, mais on est un humain en premier.
Hélène :On est un humain travaillant avec des humains, puis on est dans un univers universitaire et c’est ça qu’il faut garder en tête.
Aimy :Exact. Puis à l’opposé, qu’est-ce que tu dirais qui est le plus valorisant ou le plus nourrissant dans ton travail au quotidien?
Hélène :Bien je dirais que la chose qui est la plus stimulante c’est toutes les interactions avec mes collègues puis les étudiants. C’est rare qu’on reçoît des médailles là puis qu’on reçoit des claques sur les épaules. C’est vraiment… tout l’aspect intellectuel, tout ce que j’apprends à chaque minute quasiment. Je dirais que ce qui est très très enrichissant dans cette carrière-là c’est qu’on apprend constamment et on apprend encore plus comme prof que comme étudiant, ce qui est surprenant là! C’est constant, soit dans nos échanges avec les étudiants, soit dans nos échanges avec les collègues, soit par nos lectures. On apprend constamment. Ça peut être soit, une chose que je n’ai pas mentionnée tantôt qui fait partie de mes journées, c’est par exemple d’évaluer des mémoires ou des thèses, évaluer des présentations des étudiants… donc quand je lis une thèse, je lis un mémoire, j’apprends des choses! C’est sûr que j’ai assez de connaissances pour évaluer la qualité, mais j’apprends, j’apprends aussi. Donc c’est un apprentissage constant là, c’est qui est vraiment très très enrichissant et qui est très très positif.
Aimy :Cette espèce d’accès là à la connaissance, hein?
Hélène :Oui.
Aimy :On n’est pas vraiment rentré dans le détail de ce que tu fais malgré que je trouve ça fascinant ; Je vais mettre le lien à la ciné-conférence que tu as donnée pour l’Université de Montréal, mais comment est-ce que tu penses que ton domaine va évoluer dans les 5, 10, 15, 20 prochaines années?
Hélène :En fait mon domaine puis d’autres domaines vont évoluer un peu dans le même sens. Un des défis actuels c’est qu’il y a énormément de connaissances, c’est exponentiel, la quantité de connaissances qui sortent depuis quelques années. Donc l’intelligence artificielle va devenir de plus en plus un outil essentiel. Ça fait longtemps qu’il y a des gens qui travaillent avec l’intelligence artificielle, ça fait des décennies que ça existe, mais ça fait quelques années où vraiment les gens intègrent ça plus dans leurs recherches, c’est assez récent et ça va devenir de plus en plus important. L’autre aspect qui est déjà commencé, mais qui va devenir de plus en plus essentiel, c’est tout ce qui est multidisciplinarité, tout ce qui est aussi international. Vraiment des grosses équipes qui vont de plus en plus arriver à… coordonner de grosses équipes, parce que là on le fait, mais c’est souvent… je trouve que c’est encore un peu mal fait dans le sens que c’est mal coordonné et intégré encore. Je ne dis pas que c’est de la mauvaise recherche, mais ça peut être mieux dans ce sens-là. Dans le sens de la coordination. Oui donc c’est vraiment ce qui va le plus évoluer dans les prochaines années.
Aimy :Puis quand on parle d’intelligence artificielle, est-ce que tu le vois dans le sens où il y a tellement de données qu’il faut qu’on soit capables de les structurer pour en tirer le plus de profit ou c’est dans l’idée de la modélisation pour pouvoir projeter différentes possibilités?
Hélène :C’est très bien dit, c’est les deux, c’est les deux. Parce que justement il y a de la gestion de données, mais avec cette gestion de données-là, il va falloir arriver à modéliser, pour justement nous envoyer vers de meilleures pistes possibles. Donc c’est exactement ce que tu viens de dire.
Aimy :OK. Dernière question dans ma grande série de questions. Si tu rencontrais un jeune ou quelqu’un en réflexion quant à sa carrière qui te disait « Bien c’est intéressant Hélène ce que tu fais, comment est-ce que je pourrais faire pour m’en rapprocher? », quels conseils est-ce que tu lui donnerais?
Hélène :Pour s’en rapprocher, bien je dirais de garder toujours une curiosité intellectuelle, d’étudier, étudier le plus possible, mais toujours garder en tête que ça doit se faire dans le plaisir. Apprendre à étudier dans le plaisir, pas juste pour avoir des notes. C’est sûr que ça prend des notes pour obtenir des bourses puis aller plus loin, mais faut le voir à long terme. C’est quelque chose qui doit rester dans nos habitudes toute notre vie quand on est chercheur, d’apprendre, d’étudier, de se faire évaluer et tout ça. Si on n’apprend pas à le faire dans le plaisir, c’est mieux de faire autre chose clairement. Donc c’est toujours, oui c’est le premier conseil que je donne.
Aimy :Donc d’adopter un peu cette posture d’étudiant perpétuel.
Hélène :Exactement, exactement. Quand quelqu’un vient dans mon bureau puis il me demande, parce que je recrute les étudiants, je ne prends pas nécessairement tous ceux qui sont intéressés à faire un doctorat dans mon labo, puis la première question que je leur demande, c’est « Pourquoi veux-tu faire un doctorat? ». Si c’est quelqu’un qui me dit « Je veux une job payante, une bonne job », si on calcule le ratio heures de travail / salaire ce n’est pas nécessairement payant. Donc c’est vraiment, il faut vraiment que la personne me réponde « Moi j’en mange de la recherche, c’est quelque chose qui me passionne, c’est ça ». Donc si je rencontre un étudiant du secondaire, du cégep ou du BAC qui me dit « J’aimerais ça être chercheur, qu’est-ce que je vais faire? ». C’est ça : « Renseigne-toi, lis et arrange-toi pour… » et ça doit être vraiment quelque chose de passionnant.
Aimy :Hélène ça a été super intéressant. Merci beaucoup.
Hélène :Ça fait plaisir.
Aimy :Je vais mettre des liens pour qu’on puisse en apprendre un peu plus sur ce que tu fais parce qu’on aurait pu parler pendant dix heures sans interruption et j’aurais encore eu des questions, mais je te remercie beaucoup pour ton temps.
Hélène :Ça fait plaisir!
Aimy :Merci à notre invitée et merci à vous d’avoir écouté cet épisode des portraits professionnels. Pour plus de détails sur cette profession, visitez notre site Internet au www.saltoconseils.com