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INGÉNIEUR EN STRUCTURE

AVEC CHARLES-ÉTIENNE CYR

Décembre 2020 | Musique et montage par Alex Andraos

Charles-Étienne Cyr est ingénieur en structure. Dans cet épisode, il nous clarifie cette branche parfois méconnue du génie en nous décrivant ses tâches de la conception de l’ossature d’un bâtiment à sa construction finale. Il nous parle aussi de l’étroite collaboration multidisciplinaire qu’il vit au quotidien et il nous décrit l’impact des évolutions technologiques sur son domaine.

INGÉNIEUR EN STRUCTURE

AVEC CHARLES-ÉTIENNE CYR

Aimy :

Bonjour et bienvenue aux Portraits professionnels, le balado où l’on tente de clarifier différentes professions du marché du travail. Charles-Étienne Cyr est ingénieur en structure. Dans cet épisode, il nous clarifie cette branche parfois méconnue du génie en nous décrivant ses tâches de la conception de l’ossature d’un bâtiment à sa construction finale. Il nous parle aussi de l’étroite collaboration multidisciplinaire qu’il vit au quotidien et il nous décrit l’impact des évolutions technologiques sur son domaine. Charles-Étienne Cyr, bonjour.

Charles-Étienne :

Bonjour.

Aimy :

Tu vas bien?

Charles-Étienne :

Très bien.

Aimy :

Alors, on se rencontre aujourd’hui pour discuter de ton métier. Veux-tu nous dire ce que tu fais?

Charles-Étienne:

Je suis ingénieur en structure.

Aimy :

Ingénieur en structure. Alors quand tu rencontres quelqu’un pour la première fois dans un party et que tu dis : « Salut, moi c’est Charles-Étienne, je suis ingénieur en structure », qu’est-ce les gens imaginent que tu fais?

Charles-Étienne :

Je pense que la première chose qui leur vient en tête, c’est des ouvrages de structure connus comme des ponts, des grands bâtiments, des trucs comme ça.

Aimy :

Fait qu’ils pensent que tu construis des ponts?

Charles-Étienne :

Oui, exact.

Aimy :

Est-ce que tu dirais que leur vision de ce que tu fais est ajustée?

Charles-Étienne :

Oui et non. C’est-à-dire que je ne construis pas des ponts. Je construis des ponts sur des plans. Donc, je produis des plans qui vont aider des constructeurs, des gens spécialisés dans la construction à construire. Donc, il y a une petite nuance malgré tout là-dedans et je me suis spécialisé dans le bâtiment et non dans les ponts. Donc, c’est vrai que les plus grandes structures que les gens côtoient tous les jours et où la structure est mise en évidence c’est les ponts parce que la structure est apparente. Moi, comme je me spécialise dans le bâtiment de façon générale, les architectes vont venir envelopper cette structure-là, un peu la cacher. Donc, mon travail est peut-être moins évident qu’un ingénieur en structure qui travaillerait sur des ponts.

Aimy :

C’est intéressant ce que tu me dis. Si je fais une top vulgarisation, c’est comme si tu me disais que la structure c’est un peu le squelette de ce qu’il y a à construire.

Charles-Étienne :

Exactement.

Aimy :

Fait que sur un pont, le squelette est à nu, on voit bien. Tandis que dans le bâtiment, qui est ce que tu fais le plus, c’est recouvert par ce que l’architecte va produire comme travail.

Charles-Étienne :

Exactement, il y a une finition, une esthétique architecturale qui va venir un peu masquer l’ossature d’un bâtiment.

Aimy :

Là, c’est intéressant, on parle des architectes et quand tu disais au départ : « Moi je me suis spécialisé en bâtiment », c’est sûr que spontanément on peut se dire que les bâtiments, c’est les architectes qui font ça. J’imagine que tu travailles dans un milieu qui est quand même très multidisciplinaire. Comment est-ce que tu dirais que se distingue le métier d’ingénieur en structure?

Charles-Étienne :

Par rapport aux autres professions?

Aimy :

Oui.

Charles-Étienne :

Bien c’est un peu ça. Les ingénieurs en structure vont travailler vraiment sur le squelette pour s’assurer que le bâtiment va être sécuritaire pour les gens qui vont l’utiliser. Les architectes doivent avoir une vision très globale. Ils doivent, finalement, les architectes intégrer toutes les disciplines, toutes les professions qui vont venir travailler à construire un bâtiment, alors que nous on va se concentrer à ce que le bâtiment tiennent debout. Un des éléments que j’aime le plus de ma profession est justement de comprendre et de devoir intégrer la vision de l’architecte du bâtiment pour m’assurer que les concepts qu’on va mettre de l’avant et qu’on va proposer vont disons nourrir et faire tenir les idées des architectes.

Aimy :

Si on essayait d’illustrer ça un peu, voudrais-tu nous nommer un exemple d’un projet sur lequel tu as travaillé que tu as trouvé intéressant?

Charles-Étienne :

Ça fait quand même plusieurs années de ça, mais j’avais travaillé sur le réaménagement du Casino de Montréal. Donc, récemment, ils ont fait une refonte du casino de Montréal pour le rendre plus attrayant un peu. Dans le cadre de ce projet-là, j’étais un jeune ingénieur alors je faisais vraiment de la conception pure et dure et puis on se faisait amener des concepts architecturaux assez particulier parce que c’est un ouvrage qui devait avoir une certaine prestance et les architectes avaient une idée très claire de la signature qu’ils voulaient donner au projet. Donc, il fallait qu’on trouve des solutions pour être capable de respecter la volumétrie et la géométrie du bâtiment qui étaient souhaitées par les architectes.

Aimy :

C’est intéressant parce qu’on parle d’un bâtiment qui existe déjà. Des fois, on se dit, la structure, tu fais ça au début et ensuite c’est fini, mais en fait même quand on réaménage, quand on repense quelque chose qui est déjà là, la structure est encore en jeu. Fait que, mettons, dans le projet du casino, tu me dis : « On doit faire nos plans en fonction aussi de la vision de l’architecte ». En termes de timing, au début du projet, comment ça marche? Est-ce que tout le monde s’assoit autour d’une table puis discute de ce que ça va être? Grosso modo, ça a l’air de quoi?

Charles-Étienne :

C’est une très bonne question. Pour répondre à ça, je pense qu’on devrait prendre un exemple d’un bâtiment qui est peut-être plus simple. Tu parles d’un bâtiment existant et d’un bâtiment nouveau, dans les deux cas ils va y avoir des contextes et des façons de travailler qui vont être un peu différentes. Si on a un nouveau bâtiment, généralement on va être approchés par un client qui pourrait être par exemple un développeur immobilier qui veut construire une nouvelle tour de bureaux ou un nouveau bâtiment de condos, quelque chose comme ça. Il va nous approcher pour faire des plans de structure. Généralement, il va déjà y avoir un concept qui va avoir été pensé par l’architecte. Donc, on va recevoir des plans préliminaires de l’architecte qui vont nous donner une idée de la vision architecturale du projet et dans quel genre de défi finalement on va se lancer à réaliser ce projet-là, ce qui nous aide un peu, grosso modo, à déterminer un peu ça va être quoi nos honoraires, le prix qu’on va charger à notre client pour faire ces travaux-là.

Aimy :

Donc, tu reçois une première ébauche et là tu vas te faire une tête sur ce que je vais charger et qu’est-ce que je m’en vais faire là-dedans.

Charles-Étienne :

Exactement. Puis, ensuite, effectivement ça va généralement, le projet va être lancé avec une réunion de démarrage qu’on appelle où est-ce qu’on va se retrouver autour de la table avec la plupart des intervenants du projet qui vont aider à concevoir le bâtiment dans son ensemble avant de, évidemment de commencer la construction du bâtiment.

Aimy :

Quand tu dis la plupart des intervenants, qui est-ce qu’on pourrait retrouver autour de la table?

Charles-Étienne :

Généralement, il va y avoir le client qui est un peu le maître d’ouvrage. C’est lui qui, qui…

Aimy :

… Qui met les sous?

Charles-Étienne :

Qui met les sous pour faire le projet. Il va y avoir l’architecte du projet, évidemment. Il y a un ingénieur en structure dans la plupart des projets qui est impliqué. Il y a aussi une autre discipline qui va être l’ingénieur en mécanique électrique qui va être responsable, si l’ingénieur en structure est responsable de créer un peu le squelette du bâtiment, l’ingénieur en mécanique électrique va être responsable de faire le réseau de ventilation, le réseau de chauffage, le réseau électrique. Donc, lui c’est peut-être plus le système sanguin de…

Aimy :

Ce qui court dans les murs…

Charles-Étienne :

Ce qui court dans les murs, exactement. Donc, lui va être responsable de ça. On va avoir souvent un architecte paysagiste, qui va faire tous les plans de l’aménagement paysager autour du bâtiment. On peut avoir un ingénieur civil qui lui va s’assurer que le bâtiment soit connecté aux infrastructures de la ville de la bonne manière.

Aimy :

Quand on parle des infrastructures de la ville, on veut dire les égouts, euh…

Charles-Étienne :

L’aqueduc, les égouts, principalement. Bon, les égouts, un bâtiment, mettons qui, un nouveau bâtiment qui est construit sur un terrain vague, l’eau qui est accumulée par la pluie dans ce terrain-là n’est pas nécessairement amenée directement dans l’égout de la ville. Donc, l’ingénieur civil à partir du moment où on crée un bâtiment, il y a des toits qui vont recueillir l’eau qui vont l’amener dans un drain et ça, ça va être rejeté dans l’égout. L’ingénieur civil doit s’assurer que le volume d’eau qui va être envoyé dans le système d’égouts ne sera pas trop grand et que ça ne va pas créer des problèmes aux infrastructures de la ville, par exemple.

Aimy :

Quand tu dis connecté aux infrastructures en bonne et due forme, c’est un exemple, c’est un peu ça qui va veiller à ce que tout soit en règle.

Charles-Étienne :

Exact. Donc, puis, sinon, des fois, dès la réunion de démarrage, il va y avoir un entrepreneur, donc quelqu’un qui va s’occuper de la construction du bâtiment. C’est pas dans tous les projets qu’il va être autour de la table au début. Mais des fois, ça peut être bénéfique d’avoir quelqu’un qui est dans la construction au début, qui va amener certaines contraintes, certains enjeux au niveau de la construction pour s’assurer que lorsque la construction va être démarrée, ces contraintes-là vont avoir été prises en compte dans la production des plans par les différents professionnels.

Aimy :

Parfait. Est-ce qu’on aurait des techniciens, déjà autour de la table ou pas encore, ils entrent en jeu plus loin?

Charles-Étienne :

Généralement, que ce soit, il y a des techniciens qui vont être impliqués dans le projet. Dans le bureau pour lequel je travaille, on est à peu près la moitié d’ingénieurs pour la moitié de techniciens, donc c’est à peu près 50-50 la proportion. Les techniciens vont généralement être responsables du dessin, de la mise en plan, de la modélisation qui va mener à la production des plans. Les ingénieurs vont être plus responsables de vraiment la conception comme telle, le dimensionnement des éléments, je parle de la structure là, le dimensionnement des éléments qu’il va y avoir dans les plans. Souvent, c’est plus des ingénieurs qui vont être autour de la tables, des chargés de projet des différentes disciplines pour ne pas avoir justement trop de personnes autour de la table parce que des fois ça nuit un peu à la productivité. Ça peut arriver par exemple, qu’on amène des techniciens en réunion parce que eux, ultimement, c’est beaucoup les techniciens qui ont un travail de coordination. Donc, les ingénieurs sont au courant, un chargé de projet va être au courant de ce qui se passe dans le projet, mais comme c’est le technicien qui a la maquette, qui a les plans devant lui à savoir si le mur doit être placé à 1500 millimètres d’un axe ou à 1450 millimètres d’un axe, c’est lui qui va le savoir et qui va aller fouiller dans le plan d’architecture et qui va coordonner ces éléments-là avec l’architecte. L’ingénieur aussi est au courant, mais c’est vraiment le technicien qui va s’assurer que le mur est à la bonne place dans le plan. Donc, il a un grand rôle au niveau de la coordination, mais cette coordination-là, surtout de nos jours, se fait beaucoup plus par échange de courriels, échange de plans, que dans des réunions.

Aimy :

Dans ces réunions plus préliminaires, on est vraiment en train de concevoir, ion est en train d’imaginer comment ça va être…

Charles-Étienne :

On établit des concepts.

Aimy :

Donc, ça c’est un peu le début d’un projet, on recueille le besoin du client, on recueille la vision d’un architecte, on ramasse l’information quant aux données déjà existantes. Et là, qu’est-ce que tu fais?

Charles-Étienne :

Ensuite, toute la phase préliminaire du projet c’est un peu d’établir les grandes lignes du concept puis du canevas. Donc, on doit faire en premier lieu avant même de commencer à produire nous-mêmes des plans de structure, on va souvent faire une conception préliminaire, pour amener de l’information à l’architecte. J’ai donné des cours à l’Université de Montréal, de structure en fait, j’ai donné des cours de structure aux étudiants en architecture de l’Université de Montréal et une des choses que je leur disais dans les premiers cours, c’est je sais que ça peut paraître bizarre que vous ayez des cours de structure où est-ce que je vous fais faire du dimensionnement, mais trop souvent dans vos projets l’ingénieur en structure va arriver et vous avez, comme je l’ai mentionné tantôt, vous allez déjà avoir fait votre concept. C’est important que vous ayez une base de structure pour que votre concept tienne la route et que l’ingénieur en structure, quand il va commencer à s’impliquer sur votre projet, il ne sera pas en train de vous faire changer tout votre projet. Donc, les premières étapes, la première rencontre, c’est justement de mentionner les plus gros enjeux du concept qui est proposé par l’architecte, essayer de trouver des solutions, simples et économiques à disons solutionner ces enjeux-là et ensuite, quand on retourne au bureau avec ce concept-là, c’est de faire des calculs pour valider ce concept pour donner une première idée de la géométrie du squelette du bâtiment aux architectes, pour qu’eux puissent intégrer ça dans leur plan puis faire certaines modifications. Donc, on fait beaucoup de travail de calcul, au début, puis de dimensionnement qu’on va communiquer à l’architecte pour que lui modifie un peu ses plans et ensuite, une fois que le concept est bien établi, là on va s’approprier jusqu’à un certain point le plan de l’architecte et commencer notre propre mise en plan, commencer à dessiner le squelette à l’intérieur de la volumétrie qui est proposée par l’architecte.

Aimy :

C’est vraiment un travail en étroite collaboration, entre ces deux disciplines-là.

Charles-Étienne :

Tout à fait. Bien, pas juste entre ces deux disciplines-là, entre toutes les disciplines d’un projet parce que quand on commence ce concept-là, il fait tenir en compte des contraintes de ventilation, il faut qu’il y ait des ouvertures dans les planchers pour permettre la ventilation, il y a des drains qui doivent descendre le long de nos colonnes, donc tous ces éléments-là, on doit les tenir en compte aussi. Mais, effectivement, l’odieux de la grande coordination du projet revient plus à l’architecte. Donc, on communique vraiment quotidiennement avec les architectes des projets pour être capables d’arriver à des plans qui sont bien coordonnés et qui vont être bien construits.

Aimy :

C’est comme si cette étroite collaboration-là c’était toujours un peu une validation ou une revérification que ça va tenir la route, que ça ne va pas s’effondrer, que ça va vraiment rentrer comme c’est supposé rentrer, que les choses, que les portes ouvrent, c’est un peu ça hein?

Charles-Étienne :

Exactement. Donc, nous on a, l’ingénieur en structure, généralement, on va parler d’état limite pour un bâtiment. On a un état limite de rupture, donc on s’assure qu’au niveau de la sécurité, le bâtiment justement ne s’effondrera pas.

Aimy :

L’état limite, c’est si on dépasse ça, ça tient plus?

Charles-Étienne :

Exactement, donc l’état limite de rupture, si on dépasse cet état limite-là c’est qu’on peut atteindre une rupture qui va être catastrophique pour le bâtiment et on doit aussi tenir compte des états limites d’utilisation. Donc, est-ce que le plancher va tenir, mais il va être tellement être déformé que, justement, les portes n’ouvriront plus? Ou est-ce que le plancher va être tellement flexible, il va tenir mais il est tellement flexible qu’il va y avoir des vibrations puis les gens qui vont marcher sur le plancher vont avoir des inconforts liés à ces vibrations-là. Donc, on doit un peu gérer ces deux états limites-là. Puis évidement, on peu penser que l’état limite de rupture est plus important que l’état limite d’utilisation, mais si on ne respecte pas l’état limite d’utilisation, le bâtiment ne pourra pas bien être utilisé non plus.

Aimy :

OK. Fait que là, tu me disais, on en est au plan premier que vous avez tracé. Où on en est ensuite?

Charles-Étienne :

On a déjà établi le concept, on est de retour au bureau, on a un plan d’architecture qui tient la route, c’est-à-dire que les trames sont bien définies. Les trames structurales, donc les colonnes sont aux bons endroits, on a les bons éléments structuraux dans le bâtiment pour faire tenir le bâtiment. Ensuite, on va commencer donc de notre côté la mise en plan. La mise en plan, c’est de produire un plan de structure qui va guider l’entrepreneur à construire la structure de manière à ce qu’elle tienne bien. Donc, à mesure qu’on produit le plan, on échange ces plans-là avec les autres professionnels pour raffiner la coordination. Puis en cours de projet, on est jamais à l’abri d’un changement qui peut provenir du client, de l’architecte ou même de nous, ah on s’était trompés dans notre concept préliminaire, il faut qu’on rajoute un mur à cet endroit-là, ou qu’on fasse ci ou qu’on fasse ça. Donc, il y a une certaine période de temps où est-ce qu’on avance tranquillement les plans en coordination avec tous ces professionnels.

Aimy :

Ces plans-là, à ce moment-là, on n’est plus dans le conceptuel, on est plus comme dans un mode d’emploi, donc comment construire.

Charles-Étienne :

Oui, exactement. Donc, la première phase, c’est la phase préliminaire et la deuxième phase d’un projet, on va l’appeler la phase plans et devis. Donc, on est en train de produire des plans qui ensuite pourront être remis à un entrepreneur qui va lui dire comment on va construire le bâtiment. Par exemple, si je peux faire une analogie un peu facile, quand on achète un nouveau modèle Lego, on a toutes les pièces qui sont dans la boîte et on a aussi un mode d’emploi qui nous dit comment arriver au produite final. C’est un peu ça les plans et devis, c’est qu’on montre le bâtiment comment il va être construit, on montre où vont aller toutes les pièces et on donne un genre de mode d’emploi sur comment construire pour que ce soit bien fait. Ça c’est la phase plans et devis.

Aimy :

Parfait, ensuite, qu’est-ce qui vient?

Charles-Étienne :

Ensuite, vient la construction. On a fini nos plans et devis, le client a fait le choix d’un entrepreneur, donc d’un constructeur qui va venir construire ce bâtiment-là. Nous, le rôle de l’ingénieur en structure pendant la construction, je parle, quand je parle d’un ingénieur en structure, c’est quelqu’un qui est en génie conseil, donc un peu la branche que je fais qui réalise ces plans-là. On va généralement avoir un mandate de surveillance des travaux. Donc, dans la surveillance des travaux, on s’assure que l’entrepreneur va construire selon les plans que nous on a produits. Pour s’assurer que, finalement, c’est construit selon nos plans et donc que la construction va être sécuritaire.

Aimy :

Donc, plus un rôle de vérificateur, à ce moment-là.

Charles-Étienne :

On vérifie. Donc, on va vérifier la première étape, souvent, l’entrepreneur, lui, il emploie des sous-traitants. Donc, on a un entrepreneur général qui coordonne un peu comme un architecte l’ensemble des sous-traitants. Donc, on a un sous-traitant qui va, par exemple, pour un bâtiment en béton, qui va fournir du béton qui va être livré sur le chantier. On a un coffreur qui va faire des formes dans lesquelles le béton va être coulé et dans lesquelles le béton va durcir pour faire la géométrie.

Aimy :

Pour faire les moules hein?

Charles-Étienne :

Les moules, exactement, pour le bâtiment. Quand on parle d’un bâtiment en béton, il y a toujours de l’acier d’armature qui va être dans le béton. Donc, on a un sous-traitant qui va amener les barres d’armature au chantier puis les placer selon nos plans dans les formes avant que le béton soit coulé. Ça, je parle des sous-traitants en structure pour les constructions en béton. Mais, il y a une multitude d’autres sous-traitants dans un projet. Par exemple, il y a un sous-traitant qui va fournir les fenêtres, un sous-traitant qui va fournir les murs extérieurs, un sous-traitant qui va fournir le fini de plancher ou qui va poser le gypse dans un bâtiment. Donc, tout ça c’est des sous-traitants qui sont embauchés par l’entrepreneur. C’est lui qui coordonne normalement les travaux de tous ces sous-traitants-là. Puis, nous on reçoit, ces sous-traitants produisent des dessins d’atelier. Nous on a un plan général puis ensuite eux vont s’approprier ce plan-là puis vont penser à leur propre façon de construire avec ce plan-là. Nous, première étape, c’.est de vérifier que eux ont bien compris les plans de par leurs dessins d’atelier et ensuite, même on est appelés à aller au chantier pour s’assurer que les barres d’armature ont été placées aux bons endroits, que les coffrages ont la bonne géométrie, etc.

Aimy :

Fait que ça a l’air de quoi un ingénieur en structure qui visite un chantier. Si mettons j’avais un drone par-dessus la tête et que je te voyais faire sur un chantier, qu’est-ce que je verrais?

Charles-Étienne :

Bien, la première chose que tu vas remarquer, c’est que de façon générale, les ingénieurs ou les gens qui sont plus les responsables qui ne sont pas dans le toucher, qui ne prennent pas la pelle et qui ne placent pas les choses dans le chantier, première chose qu’on remarque c’est qu’ils ont des casques blancs (rire).

Aimy :

(Rire) pour les distinguer de quelles couleurs de casque?

Charles-Étienne :

Je ne pourrais pas vraiment dire. Il n’y a pas de code on dirait pour les couleurs de casque, mais je sais que les professionnels qui vont faire de l’inspection ont généralement un casque blanc.

Aimy :

OK. Est-ce que c’est une règle non écrite, c’est comme un…

Charles-Étienne :

Je ne pourrais pas te dire. Je t’avoue que je ne me suis jamais vraiment posé la question, mais je sais que tous les ingénieurs ou les architectes qui vont aller sur un chantier vont avoir un casque blanc lorsqu’ils font leurs inspections. Mais, souvent, ce qui va se passer, les coulées de béton, par exemple, je vais parler des bâtiments en béton. Il y a peut-être, dans la compagnie pour laquelle je travaille, 80 à 90% des bâtiments qu’on fait parce que c’est le marché d’aujourd’hui, on construit des bâtiments multi-étagés en béton qui vont servir à de l’habitation, soit du résidentiel locatif ou des condos. Il y en a beaucoup qui se construisent à Montréal ces temps-ci, je pense que c’est un secret pour personne. Donc, beaucoup de nos clients vont produire des condos. Si j’ai une inspection à faire avant la coulée d’une dalle, donc d’un plancher en béton, je vais aller sur le chantier très tôt le matin. Je vais avoir soit des extraits de plans imprimés en papier soit, en 2020, une tablette avec laquelle je vais avoir les plans puis je vais me promener sur le plancher et je vais vérifier que ce qui a été produit, que les barres d’armature où elles ont été placées, elles sont été placées selon les plans qu’on a produits.

Aimy :

Fait que tu as ton tape à mesurer, tu t’assures que les choses sont à leur place.

Charles-Étienne :

Oui, j’ai le tape à mesurer, je vérifie les barres d’armatures pour m’assurer qu’elles ont le bon diamètre. Je vérifie que les barres sont placées aux bons endroits. Je vérifie à certains endroits particuliers où est-ce qu’on a des ouvertures que les détails d’armature autour de ces ouvertures-là on été bien faits. On est en condition d’hiver,m je m’assure que la dalle est pas trop froide, je vérifie qu’ils ont mis le chauffage en-dessous pour s’assurer que la dalle est quand même chaude, que les fonds de coffrage, que les moules sont propres parce que s’il y a des résidus qu sont dans le fond du coffrage du moule, quand on va couler le béton et qu’on va l’enlever ça va être apparent. Donc, c’est un peu toutes ces vérifications-là qu’on fait. Ensuite, je retourne dans la roulotte de chantier de l’entrepreneur. J’écris un rapport où je dis qu’est-ce qui a été bien fait et qu’est-ce qui n’a pas été bien fait pour que l’entrepreneur puisse faire ces correctifs-là avant de couler le plancher, par exemple.

Aimy :

C’est comment cette relation-là de dire à quelqu’un d’autre, écoute ton travail il y a quelque chose qui ne marche pas dedans?

Charles-Étienne :

C’est toujours un peu sensible. Il faut, c’est un défi dans le fond d’établir une bonne relation avec les intervenants sur un chantier. Il y a une fine ligne à respecter de, d’être très respectueux avec eux parce qu’il faut réaliser que leur travail est pas facile. Je ne voudrais pas être un ferrailleur sur un chantier de construction. Ils sont pliés en deux entrain de transporter des barres d’armature qui pèsent des dizaines et des dizaines de kilos quand il peut faire moins 30 avec le vent sur une dalle. Pour vrai, je leur donne le crédit parce que ce n’est pas un métier qui est facile et je pense que ça c’est important de le savoir puis de le réaliser quand on est sur un chantier et de leur adresser la parole avec beaucoup de respect et d’adresser les enjeux qu’on a avec beaucoup de respect. Cela dit, c’est important de leur faire réaliser qu’ultimement, j’ai une responsabilité professionnelle de m’assurer que le bâtiment va être bien construit et qu’il va être sécuritaire et que c’est au bénéfice de tous sur le projet qu’il n’y ait pas de problème. Donc, oui tu peux avoir fait une erreur. Des fois, c’est moi qui peut avoir fait une erreur. Des fois je vais regarder au chantier et je vais réaliser que sur mon plan, je n’ai pas mis assez de barres d’armature à tel endroit et des fois, c’est quand tu le vois sur place que tu t’en rends compte. On perd un peu cette perspective-là à regarder des plans. Donc, c’est important d’avoir une bonne relation et de dire : « C’est mon erreur, mais je vais avoir besoin que tu rajoutes des barres d’armature à cet endroit-là ». Ou : « Regarde ici, j’ai le plan ici, tu n’as pas respecté, vous n’avez pas respecté le plan. Peu importe la raison, il va falloir corriger avant la coulée ». Effectivement, c’est une relation qui se construit dès les premières visites sur un chantier, mais si on le fait de la bonne façon au début, au fur et à mesure que le chantier va aller, cette relation-là finit par être disons une belle relation et on se rend compte qu’on travaille tous ensemble. On est tous dans la même équipe pour construire un bâtiment qui va être sécuritaire et de bonne qualité.

Aimy :

C’est comme s’il y a un morceau du travail qui est super scientifique, je calcule puis je mesure et je m’assure que la géométrie puis il y a un côté qui est très humain. Si mon travail avec l’entrepreneur n’est pas bon, ça se peut que mon travail soit plus complexe.

Charles-Étienne :

Tout à fait puis je pense que c’est quelque chose que j’aime beaucoup de mon métier, c’est qu’il y a un aspect calcul de physique et de science comme tu dis, mais il y a beaucoup l’aspect humain, non seulement avec l’entrepreneur sur un chantier mais aussi avec les autres acteurs, dont l’architecte et c’est pas juste l’ingénieur chargé de projet qui fait ces relations-là, c’est le technicien qui doit appeler le technologue en architecture ou l’architecte pour coordonner certaines choses, c’est l’ingénieur disons qui s’occupe du calcul comme tel qui doit communiquer avec le technicien à même l’équipe et avec l’ingénieur, donc il y a beaucoup, c’est un grand travail d’équipe finalement. Cet élément-là, c’est très important, c’est super intéressant dans notre travail puis je pense que ça se fait à tous les niveaux de mon métier. Que ce soit le jeune ingénieur qui fait beaucoup de calculs, l’ingénieur qui fait beaucoup d’inspections de chantier ou le technicien qui coordonne avec l’architecte ou le chargé de projet qui gère les relations client qui gère les relations avec l’entrepreneur, tout le monde a un rôle important au niveau de la communication et c’est vraiment quelque chose d’important dans notre travail.

Aimy :

OK. Fait que là, on en était à l’inspection. La construction est en cours, ensuite?

Charles-Étienne :

Ensuite, on a fait nos rapports d’inspection, vient ensuite un aspect plus disons administratif où est-ce que le client doit généralement ce n’est pas lui qui va financer 100% du projet. Donc, le projet va être financé par une banque ou par d’autres intervenants et lui doit à tous les mois produire une demande de paiement pour payer l’entrepreneur pour les travaux et va demander aux professionnels de faire des certificats de conformité pour s’assurer que les travaux ont été bien faits et que ce qui est demandé comme paiement ou comme facture est conforme aux travaux qui ont été réalisés sur place. Et à la fin, fin, fin du projet lorsque les travaux de structure sont complétés, on va faire une dernière inspection, on va faire un rapport final de conformité des travaux donc pour signer comme quoi le bâtiment a été construit de façon conforme à nos plans et devis et a les, s’il y a eu des déficiences en cours de chemin, ces déficiences-là on été corrigées. Parfois, le client va nous demander de produire des plans finaux ou des tel que construit. Donc, on va produire une dernière émission de nos plans où est-ce qu’on va intégrer tous les petits changements qu’on aura dû faire en cours de chantier pour s’ajuster à certaines conditions.

Aimy :

C’est comme un rayon X final de la structure.

Charles-Étienne :

Exact. Malheureusement, ce n’est pas un rayon X, donc on sait jamais vraiment exactement dans les plans finaux. Il y a toujours des petites différences entre ce qui a été construit. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’Ordre des ingénieurs Québec propose d’appeler ça des plans finaux et non des tel que construit parce que l’appellation tel que construit laisse croire que les plans sont exactement comme ce qui a été construit sur le chantier alors qu’il y a toujours de petites différences, de petites variations.

Aimy :

Là on est passés à travers grosso modo le mandat de l’ingénieur en structure. Si maintenant je ramenais ça à plus petite échelle et que je te demandais ton quotidien professionnel à toi, de quoi il peut avoir l’air?

Charles-Étienne :

Mon quotidien professionnel à moi, où est-ce que j’en suis rendu dans ma carrière, dans le fond j’ai fondé mon propre bureau avec un associé de structure, donc je gère un peu toute l’équipe avec, je ne suis pas tout seul là-dedans, mais je gère l’équipe du bureau. Donc, mon rôle est très diversifié. C’est-à-dire que je dois faire un peu toute l’image de marque de ma compagnie pour aller chercher des contrats. Je dois faire de la relation client pour que les clients me fassent confiance pour me donner des contrats, pour amener des projets sur la table du reste de mon équipe.

Aimy :

Ça peut avoir l’air de quoi, de la relation client?

Charles-Étienne :

Dans mon métier, ça se fait beaucoup par, un peu beaucoup le bouche à oreille et maintenir sa réputation. C’est-à-dire que la meilleure façon d’aller chercher un nouveau client, c’est qu’un client avec qui j’ai déjà travaillé disons, dise du bien de moi ou de ma compagnie à un nouveau client éventuel. Il y a beaucoup de bouche à oreille et ça passe par le fait de faire un bon travail et c’est aussi, par exemple, d’aller dans des événements pour rencontrer nos clients où est-ce qu’on sait qu’il va y avoir beaucoup de gens de l’industrie, où est-ce que je peux rencontrer des nouvelles personnes. Si je peux rencontrer quelqu’un de nouveau dans l’industrie de la construction une fois par jour ou même une fois par semaine, c’est quelque chose de gagnant pour nous. On veut que notre nom circule, on veut que les gens parlent de nous comme quoi on est des bons ingénieurs en structure qui rendent des bons services. Donc, c’est de la relation client puis notre marketing, finalement, c’est beaucoup de…

Aimy :

… de rester en contact.

Charles-Étienne :

De rester en contact avec eux. Je dis ça à mon associé des fois, de se rappeler à leur mémoire. Ça fait longtemps qu’on a pas travailler avec tel client et il va être à tel événement, je vais essayer de me rendre à cet événement-là pour aller parler avec lui, qu’il se rappelle qu’on existe et qu’il pense à nous si jamais il a un nouveau projet sur sa table.

Aimy :

Donc, ton quotidien, ça peut être vraiment la partie gestion, la partie business, faire vivre l’entreprise, faire circuler son nom.

Charles-Étienne :

Oui et je ne parle même pas de la partie comptabilité puis tout ça qui rentre en ligne de compte là-dedans. Mais ça, c’est un peu à part du rôle d’ingénieur.

Aimy :

Ça rentre dans ton rôle de gestionnaire.

Charles-Étienne :

En tant qu’ingénieur en structure et même en tant que gestionnaire d’équipe, ça va être beaucoup de m’assurer que les gens dans mon équipe, les gens dans mon bureau son conscient des échéanciers des différents projets, de m’assurer que les gens mettent leurs efforts aux bons endroits. On travaille sur beaucoup de projets en même temps, donc c’est de m’assurer que pour respecter telle échéance sur tel projet, j’ai les bonnes personnes qui vont travailler sur ce projet-là puis qui sont conscients de ce qu’ils doivent faire à quel moment pour respecter ces échéanciers-là.

Aimy :

De respecter la cadence, de voir que le rythme de production, de voir que où est-ce qu’on est supposés être rendus maintenant pour tel projet est atteint.

Charles-Étienne :

Exactement. Ensuite, j’ai un travail de vérification du travail des gens qui vont produire, qui vont faire de la conception. Je vais travailler étroitement avec de jeunes ingénieurs pour m’assurer que leurs calculs sont faits de la bonne manière et qu’ils ont toute l’information nécessaire pour faire les calculs. Donc, les critères de conception, les différentes charges à considérer dans nos calculs sont bien établies et ils savent de quelle manière on veut travailler. La même chose, je veux m’assurer que les techniciens qui font la mise en plans ont eu la bonne information de la part des autres professionnels, ont eu la bonne information de la part de nos ingénieurs concepteurs. Donc, de m’assurer que finalement, d’être un peu une courroie de transmission pour s’assurer que les communications à l’intérieur de l’équipe puis avec les intervenants à l’extérieur du bureau fonctionnent bien. C’est un élément de mon quotidien qui est très important. Sinon, je passe beaucoup de temps dans des réunions de projet. Comme chargé de projet, je vais être appelé à aller en réunion sur des projets. Donc, comme on parlais tantôt, dans les étapes préliminaires de projet m’assurer que, on se rencontre pour regarder c’est quoi les différents enjeux, regarder s’il y a des changements qui s’en viennent dans le projet, parler des échéancier, savoir c’est quoi les objectifs du client, m’assurer que les autres professionnels vont nous fournir les informations assez rapidement pour être capables de respecter les échéanciers du client. On a tous ces aspects-là. Vient aussi l’aspect de vérification des plans. Donc, le plan est prêt à sortir et à être envoyé au client ou à l’architecte pour coordination. Donc, je vais me plonger dans les plans et je vais m’assurer que la conception a été bien faite, elle a été bien rendue sur le plan puis que le plan est lisible. Ça peut paraître particulier, mais on se met beaucoup de pression pour s’assurer que nos plans sont toujours de bonne qualité et qu’ils sont fait de façon un peu de la même manière d’un projet à un autre. C’est-à-dire qu’on est 25 dans le bureau, on est environ 10 à 12 techniciens qui vont travailler à produire les plans puis à mettre sur un 2D finalement ce qui va se faire en 3D du bâtiment. Donc, la façon dont on veut que la mise en plan soit faite, on veut s’assurer que ce soit uniforme pour tous les techniciens. Un peu la même chose pour les ingénieurs, on veut s’assurer que peu importe avec quel ingénieur ou avec quelle équipe qu’on travaille dans le bureau, on veut que les calculs soient faits de la même manière, qu’ils soient classés de la bonne façon dans les dossiers pour qu’on puisse retrouver ces calculs-là rapidement. Je dis toujours à mes jeunes ingénieurs de ne pas s’en faire, que chacun des calculs qu’ils vont faire, ils vont être obligés de le faire une deuxième fois dans le cadre du projet parce qu’il va y avoir eu des changements, parce qu’il va y avoir eu une erreur au chantier quelconque qui va nous forcer à se replonger dans les calculs pour s’assurer que malgré cette erreur-là, le bâtiment va tenir. Donc, c’est important que nos calculs soient bien classés et que toutes les hypothèses qu’on prend dans ces calculs-là soient claires pour qu’on puisse se replonger dedans rapidement et qu’on soit capables de réagir rapidement dans des cas de changement du projet.

Aimy :

La nécessité de cette rigueur-là.

Charles-Étienne :

Oui, exactement. Donc, ça ça fait partie aussi de mon quotidien.

Aimy :

Parfait. Je serais curieuse de savoir qu’est-ce qui t’a amené où est-ce que tu es aujourd’hui? C’est sûr que le génie de la structure on en entend pas super beaucoup parler, qu’est-ce qui t’a fait choisir cette voie-là?

Charles-Étienne :

Pour être bien honnête, j’ai toujours eu une facilité avec les mathématiques, avec tout ce qui était sciences pures que ce soit au secondaire ou au cégep, c’était quelque chose qui me venait naturellement. Puis ma sœur était à Polytechnique, puis j’ai eu à la voir travailler et à voir l’ambiance qu’il y avait dans cette école-là. Puis, rapidement, quand je suis arrivé au cégep, je me suis dis j’aimerais ça aller à Polytechnique, j’aimerais ça aller étudier en génie. Ma première passion, je dois l’avouer, c’était beaucoup la mécanique, l’automobile puis tout ça, alors j’ai décidé de m’orienter en génie mécanique. J’y ai fait à ce temps-là, la première année, ce qu’on appelle un tronc commun, donc peu importe la profession, le type de génie dans lequel on s’inscrivait, on avait relativement toujours les mêmes cours. Donc, j’ai fait le tronc commun en génie mécanique et j’ai eu une remise en question, donc j’ai pris une année, disons une sabbatique d’école. Au cours de cette année-là, j’ai réfléchi et je me suis rendu compte que finalement le génie mécanique, ce n’était probablement pas pour moi. Dans ce questionnement-là, j’ai parlé avec mes parents et je me suis rendu compte que j’avais quand même une bonne appréciation pour les bâtiments en général, pour l’architecture. Mon père était un fervent amateur d’architecture, il faisait un peu de développement immobilier aussi, il m’a posé la question : « Tu as déjà fait un an à Polytechnique, pour ne pas, entre guillemets, gaspiller cette année-là peut-être que le génie de la structure ça pourrait t’intéresser? ». Donc, c’est vraiment mon père qui m’a amené à réfléchir sur la possibilité que je fasse ce métier-là et il connaissait des ingénieurs du domaine, avec qui il avait travaillé. Donc, il m’a emmené rencontrer un ingénieur qui avait comme moi aujourd’hui son propre bureau, qui avait travaillé sur des bâtiments extraordinaires à Montréal. Cet homme-là a été super généreux avec moi, il m’a rencontré, il m’a parlé du métier, il m’a montré son bureau, qu’est-ce qu’on faisait dans le quotidien, les différentes voies que je pouvais prendre dans ce métier-là. Je pouvais rester dans la conception pure et dure, mais je pouvais aussi m’orienter plus du côté gestion, un peu comme je le fais maintenant. Cette rencontre-là, ça a été un pur révélateur pour moi parce que j’ai aimé l’ambiance dans son bureau, j’ai aimé le potentiel que je voyais à prendre plusieurs voies en faisant cette carrière-là. Je me suis inscrit à Polytechnique en génie civil en me disant que j’allais faire de la structure et qu’un jour j’allais aller travailler dans le bureau de Monsieur Claude Pasquin qui m’avait rencontré. Donc, puis avec cet objectif-là en tête, j’ai passé à travers mon bac puis effectivement j’ai réussi à avoir un stage dans son bureau avant ma dernière année puis tout de suite à la fin de mon bac, j’ai commencé à travailler dans ce bureau-là.

Aimy :

OK. Donc, un peu à travers les conseils de ton père puis un peu à travers cette belle rencontre-là avec Monsieur Pasquin.

Charles-Étienne :

Exactement.

Aimy :

Là, on était un peu dans le passé, si on regardait maintenant dans le futur. Si je te demandais de voir dans l’avenir, c’est complexe là, mais à ton avis, en fonction des avancées technologiques, en fonction des changements qu’on peut voir dans notre société, comment tu penses que ta profession va évoluer dans les cinq, dix, quinze, vingt prochaines années?

Charles-Étienne :

Le profession a évolué beaucoup beaucoup avec justement les nouvelles technologies. Je me rapporte, je vais retourner dans le passé pour après ça me projeter dans le futur. Je me rapporte à il y a environ 20 ans ou peut-être même 25 ans, il y avait encore des plans qui étaient écrits à la main. Déjà, la façon de faire notre métier a changé drastiquement avec la venue du dessin assisté par ordinateur ou DAO parce qu’on pouvait effacer une ligne puis la replacer en l’espace de quelques secondes. Ça, disons qu’avant, quand les gens produisaient des plans à la main, il fallait qu’ils s’assurent, jusqu’à un certain point, de ne pas faire d’erreur la première fois et ça donnait moins la chance à toute le monde de changer d’idée. Donc, maintenant avec le dessin assisté par ordinateur, c’est beaucoup facile d’apporter des modifications aux plans. Même, dans le quotidien, les courriels, ça change complètement la façons de faire des projets. Je peux recevoir 150 courriels par jour de différents chantiers qui me disent : « Il est arrivé telle chose, comment on réagit? », puis parce que la communication est tellement rapide, ça nous demande aussi à nous de réagir très rapidement face à ces situations-là.

Aimy :

Fait qu’un ingénieur en structure qui aurait pu, je ne sais pas veiller à une dizaine d’événements dans une journée, là aujourd’hui, tu peux en gérer 150?

Charles-Étienne :

Je ne dis pas que j’en gère moi, personnellement, 150, mais je suis appelé à regarder puis à prendre connaissance de beaucoup de situations.

Aimy :

OK. Fait qu’il y a une différence au niveau du rythme.

Charles-Étienne :

Oui, le rythme est vraiment plus, j’ai pas vécu au moment où est-ce qu’il y avait pas de courriel, je suis trop jeune pour ça, mais je suis capable de me projeter dans le passé et de me poser la question, comment ils faisaient pour faire des projets sans courriel et je me rends compte que, justement, je pense qu’il y avait beaucoup, les professionnels avaient beaucoup plus de temps pour produire des plans et devis qui étaient bien coordonnés et qui étaient parfaits et qu’il y avait peut-être moins de questions rendu à la réalisation du projet et rendu au chantier.

Aimy :

C’est comme si, maintenant, on produit, on construit un peu en même temps, on réajuste un peu en même temps, c’est comme si plus d’étapes se faisaient en simultané?

Charles-Étienne :

Exactement et la raison est très simple, la technologie nous permet de le faire et quand je parlais tantôt de financement, de passer une période de deux ans à faire des plans et devis et à payer des professionnels, ça demande d’avoir du capital qui est disponible, de l’argent qui est disponible pour faire ce travail-là. Alors que, souvent, le financement va arriver alors que la construction est déjà commencée. L’échéancier de mise en plan autant que l’échéancier de construction doit de nos jours être condensé au maximum pour, de nos jours, maximiser la rentabilité d’un projet. Donc, on est appelés à travailler beaucoup plus rapidement et à réagir très rapidement quand il y a des situations au chantier, pour que les échéanciers soient aussi condensés que possible. Ça c’est un gros enjeu de notre métier et ce n’est pas fait pour disparaître, ça va continuer à être comme ça. L’autre item technologique qui a un peu révolutionné notre métier et je n’en ai pas encore parlé, ça s’appelle le BIM, en bon français le Building Information Modeling. Donc, avant, on dessinait des plans à la main. Ensuite, on les a dessinés par ordinateur avec des logiciels comme Auto-CAD où est-ce qu’on dessinait les plans encore en deux dimensions. Le Building Information Modeling nous a aidés pour la structure surtout à modéliser l’ensemble du squelette d’un bâtiment, donc l’ensemble de la structure en trois dimensions et à donner des caractéristiques très précises à chacun des éléments qui ont été modélisés. Et ensuite, à partir de ce modèle-là, on produit des plans en deux dimensions qui sont utilisés sur un chantier.

Aimy :

C’est comme si, là j’essaie de me l’imaginer, mais c’est comme s’il y avait un modèle 3D qui n’est pas une maquette qui existe avant de faire les plans?

Charles-Étienne :

Bien, oui, mais ça se fait un peu en simultané, mais effectivement il y a une maquette 3D qui peut être produite de nos jours et cette maquette-là, c’est pas juste de la structure. Quand on parle de Building Information Modeling, c’est pas juste la structure. C’est aussi l’architecture qui peut être modélisée en 3D, il y a aussi la mécanique du bâtiment qui peut être modélisée en 3D et ces trois maquettes-là peuvent être intégrées dans une seule maquette. Donc, on est capable de voir vraiment des interactions qui ne fonctionnent pas. Il y a un conduit qui entre en conflit avec une colonne à un tel endroit, mon système d’enveloppe extérieure, donc mes fenêtres sont en conflit avec la colonne, donc il faut voir comment on va faire ce détail de construction là. Donc, c’est vraiment on produit une maquette 3D complète du bâtiment, de cette maquette-là on produit des plans qu’on remet à l’entrepreneur et cet entrepreneur construit selon nos plans pour arriver à une version finale qui va se rapprocher le plus possible de la maquette en trois dimensions qui a été crée.

Aimy :

C’est comme si le rythme est accéléré, mais en même temps, il y a certains outils qui nous permettent, comme ça, d’accélérer.

Charles-Étienne :

Exactement. On est capable de nos jours de produire des plans d’un bâtiment quand même de grande envergure quand même en très peu de temps à partir d’une maquette qui nous est fournie par l’architecte parce que il y a une certaine partie de l’information de notre structure qui fait partie de la maquette de l’architecture, donc on l’extrait et on fait juste travailler finalement une mise en plan à partir de cette maquette-là et on est capable de produire des plans très préliminaires, très rapidement. Ensuite, vient beaucoup de travail pour raffiner cette maquette-là puis raffiner nos plans. Mais, disons que la méthode de travail a changé beaucoup avec le BIM, le Building Information Modeling. Tranquillement, pas vite, aussi et là je commence à me projeter dans le futur. C’est le présent, mais c’est aussi le futur. Il y a de plus en plus d’entrepreneurs qui vont construire, oui on a produit des plans, mais ils vont se servir de la maquette 3D pour réaliser la construction. Donc, oui ils ont des plans, mais s’ils ont des questionnements et ils veulent prendre des mesures, des quantités ou des trucs comme ça, ils sont capables d’aller chercher ces informations-là à même la maquette qui a été créée par les professionnels et je pense que ça, dans l’avenir, ça va être de plus en plus le cas. Notre responsabilité comme ingénieur, on la concrétise, c’est très physique mais on la concrétise en appliquant un sceau sur un plan, en voulant dire je scelle ce plan-là, j’en prends responsabilité, c’est mon travail et voici le résultat de mon travail. Je peux pas vraiment sceller une maquette, donc c’est important que notre responsabilité professionnelle soit, disons, restreinte à la production du plan que j’ai signé et scellé. Il faut qu’on trouve un moyen dans le futur de prendre responsabilité pas juste du plan, mais aussi de la maquette parce que de plus en plus, des informations contenues dans la maquette vont être utilisées par des entrepreneurs pour réaliser la construction de bâtiments. Donc, ça c’est un élément qui, dans le futur, va être amené à changer. L’autre élément, encore une fois je parle du futur mais c’est déjà presque à court-moyen terme parce qu’on commence déjà à intégrer ces méthodes-là, au niveau de l’ingénierie, on doit nous aussi en tant qu’ingénieur, faire des modèles de calculs. On a des modèles qui vont servir à la mise en plan et en parallèle de ça, nous on fait des calculs, on retire de l’information du modèle et des plans qu’on a pour raffiner nos calculs et finaliser notre conception. Mais tranquillement, pas vite, dans l’industrie, on commence à faire parler, si tu veux, notre maquette de dessin avec nos logiciels d’ingénierie, nos logiciels de calcul pour accélérer le travail de l’ingénieur.

Aimy :

Je ne sais pas, j’essaie de ne pas me perdre. Est-ce que ça implique comme de créer une banque de calculs pour qu’à chaque fois qu’on arrive dans tel contexte, on utilise ce qui a déjà été calculé?

Charles-Étienne :

Bien, je veux pas rentrer trop dans le technique, mais les calculs qu’on fait, c’est souvent le même genre de calcul, donc on se crée des outils de calculs, que ce soit des fichiers Excel qui vont nous permettre de faire certaines conceptions ou des logiciels qui sont créés par des entreprises tierces qui nous permettent de faire des calculs.

Aimy :

Donc, pour accélérer encore une fois la capacité de calcul.

Charles-Étienne :

Non seulement pour accélérer, mais même pour permettre de faire ces calculs-là parce qu’un autre changement qui a eu lieu dans l’industrie, c’est que un des éléments qui change le plus à travers les différents les différents codes national du bâtiment qui changent et les normes de calcul qu’on doit respecter, c’est le calcul par asymétrie. Donc, pour un bâtiment on doit s’assurer qu’en cas de tremblement de terre, le bâtiment va bouger d’une certaine manière mais va assurer la sécurité des occupants à l’intérieur. Donc, ces analyses sismiques-là qu’on appelle, des analyses de réaction d’un bâtiment par rapport à un tremblement de terre c’est des calculs qui sont très complexes et plus le bâtiment est compliqué et plus les calculs sont complexes. Donc, on a des logiciels qui nous permettent de modéliser nos bâtiments et dans lequel les calculs sont faits de manière disons automatique. Donc, on rentre des paramètre dans un modèle informatique vraiment de calculs et ça nous permet de retirer des résultats puis de faire notre conception par rapport à ces résultats-là. Jusqu’à récemment, les logiciels qui nous permettaient de faire cette modélisation-là en vue de faire des calculs étaient, ne communiquaient pas vraiment avec un logiciel qui permettait de faire une maquette 3D qui menait à la mise en plan.

Aimy :

C’est comme si maintenant, tout était plus intégré?

Charles-Étienne :

On travaille à intégrer tous ces éléments-là dans le but d’accélérer, toujours le but d’accélérer finalement nos calculs pour être plus efficaces dans nos calculs et pour se faciliter la vie dans le respect des échéanciers toujours plus incroyables qui sont demandés, qui sont exigés par nos clients.

Aimy :

C’est vraiment super intéressant tout ça. Si je te posais une dernière question, si tu rencontrais quelqu’un qui était intéressé par ton domaine, quel conseil est-ce que tu lui donnerais dès maintenant pour pouvoir un peu s’en rapprocher?

Charles-Étienne :

Il faut comprendre vraiment pourquoi on veut faire ce métier-là et qu’est-ce qui nous passionne, en tout cas… Je reviens un pas en arrière. Il faut être passionné pour faire ce métier-là. C’est un métier qui est exigeant. J’ai parlé des échéanciers et tout ça. Il y a beaucoup de pression. On doit, il y a beaucoup de pression par rapport aux échéanciers, pour le respect des exigences de nos clients et tout ça et il y a aussi une grande pression et une grande responsabilité qu’on ne peut pas mettre de côté. Si on fait mal notre travail, il y a un plancher qui peut tomber et il y a des gens qui peuvent mourir. Ça a l’air d’être un peu grossier…

Aimy :

…mais le nerf de la guerre…

Charles-Étienne :

…ça a l’air d’être un peu facile comme réalisation, mais il n’en demeure pas moins qu’ultimement, si je fais mal mon travail, la vie de certaines personnes est en jeu. C’est peut-être pas aussi immédiat qu’un médecin s’il fait une erreur…

Aimy :

S’il échappe son scalpel…

Charles-Étienne :

… s’il échappe le scalpel puis il soupe pas le bon tuyau, ça va pas bien. C’est peut-être pas aussi instantané comme résultat, mais on a quand même une grande responsabilité. Donc, c’est pas, ça prend, il faut être passionné, c’est une vocation finalement. Donc, il faut être certain de vraiment vouloir s’engager là-dedans et il faut sentir qu’on a une passion pour ça. Cette passion-là peut se retrouver dans plein de facettes su métier et c’est ce que j’ai trouvé intéressant au moment de ma première rencontre avec Monsieur Pasquin. Il y a moyen de s’orienter plus en gestion de projet, il y a moyen de faire strictement du chantier et de faire des inspections au chantier, il y a moyen de se concentrer juste sur l’aspect calcul, tu es une bol des mathématiques, t’aimes la physique et tu pourrais faire ça toute ta vie, des calculs. Si je me projette un petit peu plus en arrière, même avant d’aller faire un bac en ingénierie, le métier de technicien en structure est passionnant. Ça ne vient pas avec le même niveau de responsabilité parce que ce n’est pas le technicien qui va scelle, signer le plan et en prendre une responsabilité professionnelle dans le dossier, mais malgré tout il a un rôle super important et c’est un métier, surtout avec le Building Information Modeling, le BIM, c’est comme monter des modèles LEGO de bâtiments qui vont être construits mais à même un modèle informatique. Il y a plein de façons de trouver son compte dans le domaine de la structure qui d’après moi est super intéressant. Si quelqu’un veut s’en aller en structure, je lui poserais la question : pourquoi est-ce que tu veux t’en aller en structure? Est-ce que c’est parce que t’aimes le bâtiment, est-ce que c’est parce que t’aimes le calcul, qu’est-ce que t’aimes là-dedans? Puis d’essayer de l’orienter dans le, la bonne ligne finalement pour ne pas se tanner de son métier.

Aimy :

Charles-Étienne, ça a été super intéressant. Merci beaucoup.

Charles-Étienne :

Ça fait plaisir. Merci.

Aimy :

Merci à notre invité et merci à vous d’avoir écouté cet épisode des Portraits professionnels. Pour plus de détails sur cette profession, visitez notre site internet au www.saltoconseil.com.